Vaira Nielsporte, la papesse du body art. Vous
savez, celle qui s’était fait greffer des oreilles de
lynx et un front de licorne.

(...)

Cette folle recommence
avec ses leçons. Ça m’ouvre la cervelle
comme une huître. Et me propulse en arrière.
Leçon n° 977. Un putain de numéro, je ne l’oublierai
plus celui-là. J’ai cinq ans. Elle m’a laissé
seul dans un loft bardé de caméras et de micros.
J’y passe une semaine face à un mur d’écrans, je
dois avaler la totalité de ses performances. Maman
baisée par un chien. Maman déroulant ses intestins.
Maman saignée par un boucher. Maman
cuisant mon placenta. Maman communiant avec
son propre boudin. Maman s’arrachant les dents.
Maman caressant son cerveau. Maman sondée
par le nez. Par la bouche. Par le trou du cul. La
maquette installée dans l’utérus de maman.
Maman vendant un de ses reins aux enchères.
Maman litres de sang. Maman litres de merde.
Maman à en gerber d’être venu au monde à l’intérieur
de maman. Elle peut bien mettre en scène
sa mort, ça ne va pas m’impressionner. Je lui
balance avec humeur :
— Attends laisse-moi deviner, t’as décidé de
crever au rayon « Braderie » de chez
Wal-Mart ?
Après un long silence, elle me dit que son
corps momifié, transformé en lanterne phosphorescente,
éclairera à tout jamais le hall d’entrée
de la Fondation Guggenheim à Calcutta.

Jean-Daniel Magnin, Le jeu continue après ta mort, Publie.net

Le premier gramme pas efficace, le second si. Mais la migraine (supposée ou réelle) ne change rien, strictement rien à l’affichage sur les volants de l’ascenseur d’un tag, ce tag : Africa go home, que moi je lis honteux, entourés de tous mes congénères humains, et quand bien même je l’ai jamais tagué. Epilepsie mais miniature : j ’ai l’impression d’avoir déjà écrit cette phrase. Quant aux arcs électriques dans les tympans, ils se déclenchent toujours au même endroit : d’abord à droite, ensuite à gauche, sur le tapis roulant menant vers loin les quais. Je sais bien qu’il faut pas prendre ces dingues au sérieux, ouais mais : cette folle dans l’casque me traite de scientologue. Elle me dit que mes machins (quels machins ?) c’est les chinetoques, que ça serait pas arrivé (qu’est-ce qui ne serait pas arrivé ?) si elle s’était appelé Ben Bidule ou Mohamed Quesaisje et d’ailleurs : il est passé où son pouvoir d’achat (son quoi ?), comment elle f’ra pour payer les études de ses gosses (ses qui ?), elle gagne moins de 2000€ par mois, elle s’en sort pas car les arabes ils braquent les aides sociales. Avant de raccrocher mon terminal callcenter ci-implanté dans mon lobe flocculo-nodulaire je lui explique qu’elle m’aurait confondu avec un candidat à la présidentielle et, pire, pas le moins pire des deux. D’ailleurs il n’y a jamais de noirs dans les trucs que j’écris. Jamais de blancs non plus. J’ignore tout des couleurs de quiconque. Mais voir la Seine sous nos rails s’écouler, rouille comme une Amazonie. D’autres eaux rouilles flottent dans des cuves abandonnées, sous les paupières, près des rails, mais plus loin. Le simple fait d’être parvenu à niquer une migraine en une petite demi-douzaine d’heures creuses sans avoir à faire reset me fait craindre une autre bis épilepsie : je suis du genre à douter vrai de n’importe quelle et apparente réalité.