Je suis quasiment presque sûr que le vrai titre de ce truc, vies //, sera juste ///. Par contre, je sais pas le prononcer.
Des semaines que suis insatisfait de la production dominicale (le samedi, encore pire). Alors quand je tiens un truc qui sonne juste, ne serait-ce que pour une impression d’une heure ou deux, j’en profite. Extrait copié/collé presque tel quel. J’y reviens plusieurs fois dans l’après-midi qui suit, juste pour vérifier que c’est bon, et que ça tient toujours. Aux environs de demain, je reprendrai lecture encore, et mon oeil gauche ou droit trouvera que c’est pas si top que ça. En attendant je le poste, respire, ici, pour archive.
XACAAAB14 (67c)
S’est pas toujours appelé Pem, tu sais. Tas d’autres noms & surnoms
avant celui-là. Le connais depuis qu’on l’a pêché un jour où il est
venu crécher au GlaukHaus n°5. Dizaine d’années. Pas d’visage. Tout
dans les omoplates. Pas un mot à trop quiconque... L’en a fallu des
semaines avant qu’on puisse poser un doigt sur lui. L’a mon âge Pem
& moi le sien. A sympathisé autour de qui sait quoi. Peut-être bien
un match de foot au terrain vague pas loin. Au GlaukHaus, on était,
quoi, une vingtaine ? Une fois, un babyfoot est tombé du viaduc, on
l’a traîné jusqu’au rez-de-chaussée du GlaukHaus... Pourquoi est-ce
que quoi ? Calmos, je sais que ce que tu veux savoir c’est quand il
est passé ici pour la dernière fois & pourquoi. J’sais bien qu’il a
disparu depuis ce jour. J’sais bien tout ça... Mais j’y viens, ok ?
Oublie l’histoire du babyfoot. C’était peut-être un billard ou bien
une arbalète. Pas important. Pas aussi simple que ce que tu crois &
j’ai besoin d’aller là-dedans pour retrouver le fil. Il a laissé un
mot, t’sais. Une lettre d’adieu vat. J’essaye de la retrouver. Pem.
S’est pas toujours appelé Pem, non. J’me souviens pas d’aucun d’ces
autres noms. Avant d’se mettre à partir la première fois de Bosanka
(quel âge il pouvait avoir alors ?) il m’a dit son plan pour niquer
tout le Business Block. Coz, il disait, j’vais devenir si riche que
mais je m’souviens plus de c’qu’il disait après, on sait tous les 2
que tout est faux, qu’il est pas devenu si riche que, et 80% de ses
mots c’était des conneries ! J’aime bien Pem. Je lui ai dit le jour
où il m’a dit que c’était Pem son nouveau nom de mec dense & sûr de
lui. S’est planté sur la bute, juste là-bas, puis il m’a dit ce que
c’était & j’lui ai dit j’aime bien Pem, alors ensuite il a monté la
grille, enfin l’échelle, vissée au pilier du viaduc pour marcher le
long des rails vers le Business Block pour la première fois, enfin,
non, pas la première, on avait déjà fait l’ascension plusieurs fois
l’un & l’autre, ensemble, à part, avec d’autres que nous intercalés
entre, sauf que cette fois c’était pour pas revenir. Théoriquement,
théoriquement pas revenir. On sait tous 2 que, si, il est revenu...
oui mais des mois plus tard ! J’ai vraiment cru que, non, jamais il
reviendrait. J’te parle, j’te connais pas, j’te parle comme si j’te
parlais à moi-même, c’est vrai que t’es son père ? T’sais quoi ? Me
réponds pas, c’est mieux. C’est mieux. T’as pas besoin de savoir ni
connaître d’où c’est que je viens ni quoi... Et moi j’ai pas besoin
de ton nom ou la gueule de ton sang, ton ADN, ta crache. Et Pem, on
n’avait pas besoin de savoir de quelles couilles qu’il provenait ou
bien de quels ovaires. On l’a posé, comme tous nous autres, lui sec
devant la porte du GlaukHaus n°5 un jour, ou bien c’est faux on l’a
pas déposé, on l’a jeté hors d’un wagon en marche & il serait tombé
(lui sec) sur le toit d’un GlaukHaus en paille-tôle ou dans la cuve
de recyclage des liquides corporels. Mais le fait est que j’ai zéro
souvenir de c’jour où on nous l’a montré & en premier à nous autres
pensionnaires. À l’époque, celui en charge du GlaukHaus n°5 c’était
Nikohl. Pour moi c’était un adulte, un vrai, mais j’me rends compte
avec l’recul que c’était rien d’autre qu’un autre gosse, peine plus
mûr qu’nous autres & c’est probable qu’aujourd’hui je suis moi déjà
plus vieille que c’qui l’a jamais été en nous ayant à charge. Comme
tous les autres avant lui, je parle de Nikohl, il s’est barré sans
faire un geste, dire un mot & du jour au lendemain on s’est trouvé
un nouveau chef de meute, jusqu’à ce que lui aussi s’barre & ainsi
de suite, voilà comment ça fonctionne les trucs, ici, au GlaukHaus
n°5. Un jour, moi aussi, moi aussi j’dirai j’me barre & j’le ferai
crois-moi bien que j’le ferai. Pem comprend pas pourquoi je reste &
pourquoi je l’a jamais suivi, 44000 fois suivi, à chaque fois qu’il
est revenu pour me dire juste qu’il repartait ! L’a toujours jamais
pensé qu’à sa gueule & moi quoi ? Moi j’sais pas. Moi j’me pose pas
la question en ces termes. J’ai des gosses dans un GlaukHaus & faut
pas que j’oublie de toujours bien l’prendre en considération... Que
Nikohl & tous les autres se soient barrés c’est leur problème. J’ai
pris le flambeau après, bien après la première fugue de Pem & avant
qu’il s’fasse appeler autre chose comme au BusBlock où il avait son
pseudo de gigolo. Gamins, on jouait ensemble indifféremment d’aucun
truc fille-garçon. Y avait un grand bouquin dans lequel 4, 5 filles
plus âgées faisaient triper les plus jeunes. Comme dans un conte ou
un, euh, livre dont vous êtes le héros. Pem & moi plus d’autres, on
y jouait. Me souviens plus d’aucune trame ni but du jeu ni rien que
ce que j’en dis maintenant : y avait des grandes béances dans aucun
autre monde que le nôtre & nous on faisait comme si tout était vrai
& y avait aussi des agrégats de trucs issus des leçons de notre con
de profinstructeur, celui cul de jatte tu sais ?, comme par exemple
la mer est rouge quand il saigne ou les 15 piliers de la révolution
perpétuelle ou bien des tics de bouche comme bon disons soit disant
ou bien en l’occurrence, on appelait ça le grand livre de j’en sais
trop rien & comment m’souvenir de comment ça s’jouait, c’était avec
des dés ou bien des cartes ou était-ce juste oral, je me souviens &
je me souviens bien que les pages quadrillées grands carreaux elles
étaient décorées à la main avec de l’encre foutue au pouce dans les
marges & autour des pages titres pour, disaient-elles ces filles là
dont j’ai oublié l’nom, les plus âgées, pour enluminer & puis faire
le background, je me souviens très bien de ça sans trop tout revoir
alors est-ce que ce serait ici que Pem a punaisé sa lettre d’adieu,
oui, non, qui sait ? et merde je crois que non. J’ai besoin de tout
dire, surtout tout à voix haute pour matérialiser chacun de mes, tu
vois, souvenirs, juste devant mes yeux, dans ma tête aussi. Pem est
pas con. Il a tout fait pour quelque chose précis. S’il a planté sa
lettre dans un de mes souvenirs, c’est pour me faire passer quelque
chose, un message & je vais le trouver, fais-moi confiance, j’avais
peut-être juste besoin de quelqu’un pour m’écouter gueuler tous mes
souvenirs hors de ma gorge pour pouvoir vraiment voir picturalement
voir la lettre en question punaisée quelque part (elle renifle puis
elle pleure). Ca fait des mois qu’j’essaye. Des mois pour rien zéro
résultat, rien. Le jour d’avant de partir, peut-être définitivement
ou quoi, m’a dit qu’il m’avait punaisé dans le sukytane sa lettre &
que j’devais juste chercher dans mes souvenirs pour la trouver mais
ça marche pas. Ca marche pas. J’vois pas l’souvenir auquel il a cru
que je pourrais le retrouver. J’lui ai jamais dit j’t’aime. Pas une
fois il a daigné la sortir devant moi sa bite mauve. Une seule fois
j’lui ai léché les lèvres & il dormait, pas moi. Ce jour là il fait
nuit & j’ai posé mes 15 paumes sur ses deux clavicules en silence &
j’ai léché ses lèvres, incorporé ma langue dans les 2 siennes, sauf
que ça fait 100 fois que je picturalise, à voix haute, à voix basse
ou les 2, mais pas une fois la lettre s’y trouve ! car comment elle
pourrait s’y trouver ? Ce jour là ou cette nuit là, il est même pas
conscient... Pem il me voyait comme une pote & pas avec ce que j’ai
dans les yeux, ça sert à rien de chercher cette putain de lettre là
où j’la cherche, dans aucune zone érogène de la mémoire, tu le sais
toi où il a pu la punaiser cette lettre ? Et tu le savais toi qu’il
suffisait d’un brouilleur sukytane pour implanter dans la tête d’un
quidam ce qu’on voudrait y planter & ce tout juste en arpentant son
crâne, sa moelle & sa mémoire ? Je sais même pas où il a pu trouver
ça, un brouilleur, peut-être que ça existe pas en fait ou peut-être
c’est juste un truc pour me forcer à chercher quelque chose qui est
tout sauf réel. Une lettre, ok, mais pour dire quoi ? Sait pas dire
que dalle avec sa voix, le Pem ? Des fois j’me demande. Des fois ça
ouais. J’suis condamnée à me souvenir de tout & n’importe quoi pour
la chercher cette putain de lettre, d’ailleurs à quoi elle pourrait
ressembler cette lettre ? À une vraie lettre ? À des mots collés ou
bien superposés aux choses ? À un texte sukytane ? Une pub vitrée ?
Ou quoi ? Quoi, merde ? Dis quelque chose toi aussi ! Dis, bordel !
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♙Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010) |