La 4G n’est pas magiquement revenue par elle-même ce matin et le gars à qui j’ai loué un canapé pour la nuit a super liké quelqu’un par inadvertance sur Tinder, sauf qu’il n’a pas dit par inadvertance (il a dit, en revanche, super liké) et je ne sais pas, au juste, comment on peut super liker qui que ce soit où que ce soit sans que ce soit voulu, souhaité, conscient quoi, d’ailleurs je ne sais même pas ce qu’on est censé répondre à ça (dans le doute, noyer le poisson). Qui est-il, que fait-il, on ne saura pas mais le petit déjeuner est bon et il regarde pas mal par la fenêtre. À la manière qu’il a de dire qu’il recherche, sur Tinder donc, des personnes, j’ai supposé que c’était des mecs l’objet de ses recherches mais après tout je n’en sais rien et je ne lui ai pas posé la question. Mais ça m’a certainement rappelé que j’ai toujours eu du mal à trouver les mots justes pour dire que j’étais avec quelqu’un dans ma vie, parce que le mot juste, précisément, n’existait pas : passé un certain âge, copain, ça ne colle plus trop, sans parler de conjoint ou je ne sais quoi. Mari, j’en parle même pas. Non, depuis plusieurs années, je me suis calé sur compagnon quand je veux parler d’H., ce qui est à mes yeux le moins pire de tous ces mots. Et je ne dirai certainement plus ami, qui est en quelque sorte une facilité quand on n’a pas envie de dire ouvertement qu’on est gay à qui que ce soit et qu’il ne m’est arrivé d’utiliser qu’une seule fois dans ma vie, à un type du collège des Souces au Mans où je faisais, bien piteusement il faut bien le dire, des vacations il y a de ça une dizaine d’années. À lui, donc, un collègue provisoire, qui m’avait demandé pour faire la conversation en salle des profs si j’avais quelqu’un, j’avais donc dit que oui, et je parlais de mon ami, et il avait conclu que tout naturellement c’est une amiE et par lâcheté cette fois-là je ne l’avais pas corrigé... Et chaque fois que je le croisais en salle des profs, il prenait des nouvelles, pour une raison qui m’échappe encore aujourd’hui, de cette fille qui était mon amie, et voilà qui m’a appris à ne plus dire mon ami à qui que ce soit (le plus simple étant tout bêtement de dire H. et basta). Là, j’ai continué mon cirque d’éditeur itinérant : travailler dans un TER ou un Intercité, je sais plus, travailler au café quelque part où il ne font pas de maté et où j’ai dû prendre un café pour compenser (horreur). Pas de sandwich ici, un plat du jour (good). Quelque chose de simple. Appelé Free pour débloquer, centimètre par centimètre, la 4G dans les paramètres du tel. Bientôt le GPS pourra de nouveau me guider (ouf). Sauf que j’ignore où je veux aller. Par moments je me souviens vaguement avoir décidé de ne plus parler, ou de ne parler qu’en cas d’extrême nécessité, à d’autres je l’oublie complètement et (c’est un exemple) je réponds au téléphone. Du temps où je la voyais encore, ψ m’avait demandé, puisque la question du silence revenait souvent, pourquoi ne pas faire une retraite silencieuse quelque temps ? Est-ce que c’est ça que je fais ? Pas sûr. J’ai terminé de lire dans le train le livre de T., il faudrait que je l’appelle pour lui dire. Comment faire si c’est pour pas parler ? Peut-être qu’il comprendra. Et j’ai besoin non de parler mais de lire à voix haute quand vient l’heure de répéter lecture des « Bara no Hanayome ». D’abord, trouver un endroit au calme (ne pas passer pour un déséquilibré ; un mutique oui). Certaines cartes fonctionnent, d’autres pas. J’ai plus le temps de revenir dessus. Le mieux que je puisse faire maintenant c’est les articuler le mieux possible (comprendre comment dans mon attitude ou dans mon interprétation je peux les transcrire dans l’oralité). Mais il y a d’autres problèmes ici (deux). 1) l’une des cartes n’a pas digéré le redimensionnement au nouveau format, et l’alignement ne se fait pas, il faut que je la retire. C’est facile à corriger. 2) j’ai oublié une lettre quelque part. Et je vois pas, en l’état, à cause de la contrainte des vers justifiés, comment corriger ça. Je la laisse de côté pour l’instant. Je crois qu’une part de moi pense que cette lecture n’aura pas lieu. Que c’est donc inutile de se cailler les doigts et les yeux pendant que la lumière s’en va. Après tout, je pourrais tout simplement ne pas rentrer. Ou bien faire le truc en visioconférence, sur l’écran d’un téléphone ou d’une tablette. Ou bien encore, et j’avais vaguement réfléchi à ça pour mon mariage : je pourrais engager quelqu’un qui me ressemble pour faire la lecture à ma place. Voilà le genre de trucs auxquels je pense quand j’en suis à laisser mon corps dériver lentement dans la rue d’une ville que je ne connais pas, que je ne veux même pas connaître, dans laquelle je sais déjà, à peine arrivé, que je ne veux pas y vivre. Il n’y a pas la mer. Et, c’est ce que m’a dit la personne qui m’a déposé en covoiturage tout à l’heure : ici il n’y a qu’une place de vivant et c’est tout. Le reste, c’est mort. Les bars ils ferment à 20h. Mais est-ce cela que je cherche avant tout, dans une ville où vivre, une heure de fermeture décente des bars ? En réalité, je ne sais rien de mes critères pour une ville où vivre. Peut-être suis-je ici pour découvrir cela ? Peut-être je suis perdu. L’airbnb du soir, c’est un type avec un ado de quinze ans qui passe son temps à regarder sur son téléphone des vidéos d’un jeu qui s’appelait Jump Force et dont je n’ai jamais entendu parler. C’est normal, il sort le 15 février et je me suis dit que ça faisait longtemps que je n’avais pas su à l’avance la date de parution d’un jeu, comme ça, d’un jeu que l’on attend. Mais sa façon à lui d’attendre ce jeu qui, à l’entendre, allait changer sa vie, était un peu étrange puisqu’il passera des heures à regarder absolument toutes les vidéos de gameplay et de démo qu’on pouvait trouver sur une célèbre plateforme de partage de vidéos en ligne. De cette manière, n’aurait-il pas épuisé tous les recoins du jeu avant même d’y jouer ? Ça n’a pas l’air de l’émouvoir. C’est juste un jeu de baston, disait-il, mais un jeu un peu particulier puisqu’il mélange (cross over) des personnages issus de différentes licences de manga qui ont toutes pour point commun de partager le même magazine de pré-publication, au Japon (Jump). J’ai beau lui dire que des magazines Jump on en a vu avec H. au Japon il y a quelques mois, il s’en fiche pas mal, même si dans ce jeu il y a le héros de Yu Yu Hakusho, dans cette pose célèbre qu’on retrouve souvent. En fait, ce personnage nous l’avons vu dans cette même pose dans une boutique de figurines à Tokyo et le voilà à nouveau qui traverse le temps (et le plastique des choses). Le fait est que cette façon de porter sa veste par dessus les épaules, qui peut à nous nous paraître étrange, en l’a vue dans les rues d’Akihabara. Je lui raconte tout ça. Il me regarde des fois. Il y a plein de noms de personnages d’X séries qui me reviennent en tête et je me vois en train de me demander tiens, et lui est-ce qu’il est dans ce jeu ? Et lui ? Souvent, la réponse est non. Ce ne sont peut-être pas des personnages issus de Jump. Quand soudain : pourquoi au juste ne suis-je jamais allé au bout d’un truc comme BLAME ! ? Comme quasiment tous mes mangas de l’époque, je les ai vendus sur Ebay avant de quitter le domicile familial. Je n’ai gardé que Fly, Akira et Angel Sanctuary, que je serai bien aujourd’hui incapable de relire et dont je n’ai jamais pu me résoudre à me débarrasser car, à l’intérieur de plusieurs tomes, sur les premières pages, H. m’avait écrit des mots au crayon. C’est lui qui, de Paris où il trouvait facilement les séries publiées par Tonkam (moi non), me les envoyait. Je ne crois pas avoir relu ces mots depuis cette époque. Et je n’aurai pas la possibilité de lui parler plus de quelques minutes par téléphone : il a passé près de douze heures au collège dans lequel il travaille, il est crevé et moi aussi. J’ai fait trop d’écran aujourd’hui, je lui dis, et je me suis pris pour Icare. Et on a fait tous les deux comme si on comprenait ce que ça voulait dire.


dimanche 3 mars 2019 - vendredi 19 avril 2024




31127 révisions
# Objet Titre Auteur Date
Article publié Article 190324 GV il y a 17 heures
Les plus lus : 270513 · 100813 · 130713 · 120614 · 290813 · 271113 · 010918 · 211113 · Fuir est une pulsion, listing adolescent · 120514 ·

Derniers articles : 190324 · 180324 · 170324 · 160324 · 150324 · 140324 · 130324 · 120324 · 110314 · 100324 ·

Au hasard : 100522 · 160123 · 270519 · 120719 · 250719 · 070321 · facebook · 250116 · 030122 · 160223 ·
Quelques mots clés au hasard : Gustavo Santaolalla · Alejandro Jodorowsky · H.G. Wells · DOA · Yuri on Ice · Nicholas Roerich · Clotilde Escalle · Goethe · R. · Julien d’Abrigeon · Gustave Doré · Utena · AnCé t. · Sui Ishida · Chris Zabriskie · Hirohiko Araki · Nathalie Quintane · Martin Winckler · Xavier Briend · Xavier Dolan · Clara Vanely · Lester Bowie · Tony Duvert · Hédi Cherchour · Denis Labouret · Hideo Furukawa · Lou Reed · Pierre Bayle · Robert M. Pirsig · Lil Wayne

Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)