Le sel, c’est un délencheur de migraine. S’attacher les cheveux aussi, si on en croit les sites qui les recensent. Les miens ne sont pas encore assez longs pour que je sois tenté de le faire. Le fromage, c’est certainement un déclencheur, du moins certains fromages. Les fromages bleus par exemple, que M. appelait, du temps où nous travaillions ensemble chez STAT, des fromages à base de moisissure. Le parmesan, c’est ok (en fait non). Le comté aussi, du moment qu’il est très affiné. Mais le cantal non. Le gruyère non plus. Sans parler de tous ces fromages industriels dont on ne sait pas réellement comment ils sont faits et ce qu’ils contiennent (lisez Des étés Camembert). Il faudrait s’interdire d’acheter du fromage en grande surface, et n’en prendre que chez un fromager clean, ou au marché. Je l’ai fait un temps. C’est cher. Avoir mal, c’est plus accessible, et c’est sans doute mieux pour le pouvoir d’achat. Pour l’instant, je vis un mois de février à zéro. Je parle en douleur ressentie. C’est bien d’être à zéro. Mais j’aimerais le rester. Ce serait bon pour mon moral, de rester à zéro. De voir la courbe plonger. Ce serait un répi, non ressenti mais revécu via le prisme des statistiques. Somme toute, je fais de la gamification de moi-même, et j’entends recevoir un de ces trophées ridicules qu’on débloque désormais dans les jeux vidéos d’aujourd’hui pour genre te récompenser d’avoir passé l’écran titre. Je caricature. Mais enfin, jouer à un jeu n’est-il pas une fin en soi ? Comme ne pas avoir mal, finalement. Sur la Kobo, un petit dispositif t’informe que tu as terminé X livres, que tu as passé X temps de lecture sur ta liseuse depuis l’achat. C’est un peu triste. C’est triste, aussi, de répondre comme un rustre à un démarcheur du Parisien qui vient te le proposer gratuitement (mais rien n’est jamais gratuit quand il s’agit de laisser entrer chez soi Bernard Arnault) et qui se propose spontanément de te serrer la main. Comment dire. Le mec fait du porte à porte dans tout l’immeuble. Toute la résidence, même. Le quartier entier, pour ce que j’en sais. Il serre donc potentiellement la main de tout le fucking monde. En plein mois de février, où les virus pululent. Et il veut que je joue avec lui au jeu de la proximité humaine et de l’amour de mon prochain ? Voilà ce que j’aurais dû lui répondre :

Si les hommes ont si peur d’être mordus par les morts vivants, c’est parce qu’ils devinent qu’une fois contaminés ils s’en réjouiront. Le plus effrayant, vu d’avant, c’est qu’après il ne reste de soi que ce qui se réjouit de n’être plus soi. Avant, c’est soi qui a peur ; après, c’est un autre qui triomphe.

Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Points Seuil