![]() 26 juillet 2019H. m’apprend qu’il existe un Saint-Thégonnec quelque part et il y a un écart de quinze degrés entre l’extérieur et l’intérieur de cette pharmacie. D’ordinaire, je n’y mets jamais les pieds car ils n’ont jamais rien (or donc pour savoir ça il faut un jour y avoir mis les pieds et ma phrase est conséquemment fausse). Et dans la brochette de trois pharmaciens derrière leur comptoir, tous debout (pourquoi ? qui a décrété ça, qu’ils devraient passer leur vie professionnelle debout ?), je choisis instinctivement celui qui ressemble le plus à Oli de Big Flo et Oli (à moins que ce soit le contraire ? j’ai dû vérifier pour m’assurer que c’était bien ça), ce qui est en soi une qualité dans la vie que j’attends rarement chez un pharmacien. Et ce pharmacien a eu l’air perturbé par le fait que le Zithromax que je voulais n’était pas pour une personne mais pour une bête, en l’occurrence Poulpir. Il a marqué un temps d’arrêt. Et puis il n’arrêtait pas d’y revenir. Je crois qu’en fait c’était la première fois qu’il devait rentrer dans l’ordinateur un médicament pour quelqu’un qui n’était pas quelqu’un mais quelque chose, enfin non, précisément pas quelque chose mais, donc, depuis que la loi l’a reconnu ainsi, un être sensible. Finalement, tout s’est bien passé, j’ai pu avoir mon Zithromax, qui est plutôt non pas le nom qu’on donnerait à un méchant dans une série de SF un peu cheap, comme on pourrait le croire, mais un truc qui sert en réalité à combattre l’infection de l’otite, et c’est vrai que les lapins ont souvent tendance à interloquer les gens, quand ils ne leur font tout simplement pas peur, comme ce type venu installer la fibre une fois. Mais là, devant celui qui ne s’appelait en réalité ni Oli, ni Poulpir, ni Thégonnec, ni Zithromax, je réalise qu’il y aurait une façon très simple d’opérer une drastique sélection dans Eff. Il suffirait de relire le tout hors écran et de recopier à la main les mots que j’entends sauver. À la main ! On serait dans un tweet, ce serait le moment choisi pour intégrer le smiley Le cri de Munch (et on peut dire que la communauté des smileys a trouvé son chef d’œuvre dans celui-là). Mais on n’est pas dans un tweet. Entre hier et aujourd’hui, j’ai sauvé 3199 mots sur 5557. Moins d’un sur deux, quoi. Mais ça ne fait rien. Il y a des trucs très forts. Maladroits mais, oui, forts. C’est quelque chose. Mais j’ai besoin de sortir pour que ce quelque chose retombe. Ou se déploie, je sais pas. Or moi, je ne prends jamais la rue de Charenton dans cette direction d’ordinaire. Pour quoi faire ? Il n’y a pas de fromager ou de boulangerie sympa de ce côté. À la place, il y a le Technicentre Sud-Est Européen et c’est le genre d’endroit où je me dirais, d’ordinaire, que derrière ce mur on s’attendrait à voir la mer. Mais là non. Je ne sais pas si ça à voir avec la canicule qui sévit depuis lundi, à la pollution qui est palpable à l’œil nu et au goût, ou au fait que j’écoute présentement Hildur Guðnadóttir, mais j’ai surtout l’impression que là, derrière ce mur, à la place du Technicentre Sud-Est Européen, donc, c’est la fin du monde. Même que si tu regardes à un endroit précis, à un moment donné, dans le soleil fondu tellement qu’il a crevé, comme un œuf pourrait-on dire, on peut voir ce qui reste de la tour Eiffel. C’est soudain. Ça ne dure pas. Puis, en continuant un peu, après m’être dit que j’étais le genre de mec à sourire plus volontiers aux chiens qu’aux gens, voilà le boulevard Poniatowski, que d’habitude moi je traverse beaucoup plus bas, du côté de la porte Doré, et je me dis ah oui, c’est donc ici qu’Ivan regarde passer les trains. Et dire que c’est à moins de quinze minutes à pied de chez moi et que je n’avais jamais vu ça... Ça ressemble à ces scènes dans Solaris ou Akira, un avant-goût du futur. Sur le pont, des foules de gens de tout horizon traversent pour s’éloigner de Paris. Ça ne s’arrête jamais. Sauf que contrairement à ce que je m’imaginais, de ce côté on ne sort pas de Paris, on s’y enfonce. C’est Bercy. Derrière moi, une voie désaffectée sur quoi des gens ont construit (ou détruit) des genres de bidonvilles et je comprends alors où je suis (et non plus quand). ![]() 17 mars 2020Si on se réfère aux sites X ou Y censés t’avertir que des ingrédients X ou Y provoquent maux et merveilles (maux surtout), tout est toujours potentiellement nocif, y compris ce que tu croyais à même de prévenir les maux en question. Les mots me manquent pour dire ici combien c’est agaçant, par exemple d’apprendre ici ou là que le lactose, ça peut favoriser l’inflammation. Faut-il abolir le fromage, et par exemple le remplacer par du houmous ou de la tapenade ? Qu’en dit le Yi King ? Beaucoup d’efforts, de la douleur, mais un grand succès une fois arrivé au sommet de l’ascension. Nous voilà bien. Je veux dire, littéralement. Car je suis devenu ce mec insupportable qui au supermarché retourne tous les paquets de yaourts végétaux pour vérifier leur composition, pèse le pour et le contre de chaque prix et chaque marque, change d’avis quinze fois, avant de faire de même cinquante mètres plus loin quand il faut se décider entre les pois chiches secs ou en conserve, et qui envisage d’écrire un courrier de réclamation à la marque de thé pour avoir trouvé un sachet aux fruits rouges dans une boîte citron vert gingembre, etc, etc. J’écris dans le noir ces quelques mots de Huysmans : dans l’au-delà, tout se touche. Y a-t-il des amandes dans l’au-delà 1 ? Mais quelles amandes ? Celles qui sont salées et issues de Turquie (non), celles qui sont grillées et qui viennent des US (non), celles qui sont bio et qui viennent d’Espagne et d’Italie mais molles et blanchies ? Je dis blanchies, je ne devrais pas dire blanchies, je devrais dire qu’au lieu d’avoir le goût des amandes elles ont le goût de la pâte d’amande et la pâte d’amandes n’a pas le goût d’amandes, mais bien le goût d’un genre d’agrégat d’elles. J’entends dans un docu radio sur Guillaume Dustan que le 11 septembre 2001 était d’une certaine façon le clap de fin de l’optimisme des années 90, et je crois pas avoir goûté aux mêmes années 90. Pour moi les années 90, c’est Nirvana (suicide de Kurt Cobain), les Fugees (séparation des Fugees), l’As de trèfle qui pique ton cœur (disparition des radars de MC Solaar), Tetsuo dans les ruines d’un stade olympique (Akira), Gray Fox en combat à mains nues dans un champ de mines (fais-moi mal, Snake, fais-moi sentir vivant !), Alien Résurection et Eric Cartman, Kal Su sachant l’humanité un mal qu’il faut anéantir, combien d’avions français bombardant des trucs au Kosovo chaque soir au 20h et des mecs qui se refilent sous le manteau la VHS d’American History X en rêvant de taguer des croix gammées sur des églises. La vie a-t-elle seulement beaucoup changé depuis que nous errions en ville en pleine eclipse solaire de 1999, sans savoir ce que nous cherchions, mais en cherchant néanmoins quelque chose ? ![]() 9 juin 2020Trente minutes « RAVUS AETERNA Extended ». Il n’y a pas que dans la vie que les lapins (ou lappis) ne s’entendent pas : dans la fiction aussi 2. Thunes : reprise des comptes après semaines sans. On pourrait croire qu’on dépense moins à ne rien faire qu’en faisant (non). J’ai acheté plus de livres (numériques donc) en deux mois que le total 2019 je crois. Il est vrai que je faisais jeûne de la consommation de livres. Plus de soupes kanten au supermarché, shit. Où ça se trouve des munitions de mitraillettes pour Prompto ? Little Richard est mort : en fonction des papiers nécrologiques dans la presse, son âge oscille entre 76 et 87 ans. Déception : Les chauve-souris sont indifférentes à nos activités. J’ai tendance à vouloir écrire existentiel existenciel. C’est joli. D’ailleurs pourquoi utilise-t-on ces horribles néologismes dans le monde de l’éducation confinée : présentiel, distanciel ? Ne pourrait-on pas plutôt parler de cours ubiquitaire ? Voire (recours dickien) d’ubikours ? Nous aurions donc des proxikours et des ubikours. Avec un k, ça sonne mieux. Une amie m’envoie un email dans le passé, il y a presque trois semaines : je le retrouve. Et puis à la fin son antivirus la fait dire : garantie sans virus. Pour les besoins de cette nouvelle classée X, qu’on appellera VV, je cherche des synonymes de sucer et de douleur. Hier j’écrirai à l’un des deux éditeurs pornographes à qui je la destine : je peux aussi bien avoir fini dans deux jours que dans deux ans. Il faut toujours que ce soit le jour de quelque chose. Si l’on en croit Twitter, c’est soit le jour de Goku, soit le jour de l’Europe. Manifestement, l’un est plus capable de sauver le monde et l’univers que l’autre. Pendant cette brutale averse nous regardons la pression atmosphérique (et non artérielle, comme j’ai d’abord failli l’écrire) chuter. Je passe mille ans à tâcher de retrouver un dessin d’Otomo qui m’a débloqué dans ma représentation d’un personnage pour VV. N’y arrivant pas, me voilà à MP un otomiste que je suis pour lui dire en substance un mec avec un casque d’aviateur et un robinet à la place de la teub ça te dit quelque chose ? Ambiance. Mais il trouve : ça vient de Highway Star. Merci à lui. Ce radis noir est infect. C’est un péché de manger un radis noir en plein milieu d’après-midi ? C’est un péché d’écrire des trucs porno ? Mais après tout qu’est la vie, sinon un péché ?
![]() 16 août 2020Quelqu’un venu estimer la volumétrie de nos biens (et non de nos âmes) pour le déménagement. Cette fois, c’est un corps en chair et en os et non une tête pixelisée et crachottante au bout d’une pique (l’écran d’un téléphone intelligent). Je me demande à quel point ses je me permets de regarder vos étagères, je crois qu’on a les mêmes lectures et ses ah, si vous ne gardez pas cette affiche de Singing in the Rain je vous la prends font partie ou non d’un genre de bagage technique du commercial dans le game du déménagement. En gros, s’il nous bullshite à mort. Somme toute, le degré de sincérité de ses dires. Si c’est le cas, c’est d’un triste. Le problème, c’est que nous sommes dans un rapport prostitutionnel qui s’appelle le capitalisme : j’ai besoin de ses services, il a un produit à me vendre. Ce rapport fausse tout niveau confiance à accorder à autrui. Il fausse tout quand on développe un genre de sympathie à l’égard de quelqu’un qui lui-même n’est pas dans une démarche gratuite à l’égard de rien, il fausse particulièrement tout quand de grands groupes pharmaceutiques en sont à développer des vaccins censés sauver de la pandémie des millions de gens. Comment nous en remettre à eux ? Et si ce vaccin était prêt, là, demain, sur la table, pourrions-nous nous y fier ? Raison pour laquelle je suis toujours très mal à l’aise quand on en vient à pointer du doigt des populations, supposément limitées, qui font preuve de scepticisme envers ce qui paraît aux consciences éclairées, ou prétendues telles, des vérités indubitables (mais le sont-elles ? ; je veux dire, peut-on ne pas douter quand on pense ?). Les puissants de ce monde passent leur temps à manipuler les masses pour des raisons mercantiles (et, donc, prostitutionnelles) en leur faisant croire n’importe quoi, et on s’étonne que ces mêmes masses, derrière, rechignent à se plier aveuglément à tout un tas de dispositifs ou de comportements censés les protéger et qui les dépassent. Mais c’est une erreur de dire, les puissants. ![]() 5 septembre 2020Je ne sais pas si je suis saturé d’images ou saturé par elles. J’ai regardé un certain nombre de fois, comme beaucoup j’imagine, les vidéos de l’explosion survenue hier dans le port de Beyrouth. Il y en a autant qu’il existe d’angles possibles pour la filmer : depuis la rue, depuis des immeubles en hauteur, depuis la vitre d’une voiture en mouvement, depuis la mer sur un bateau... Puis, à chaque fois, l’explosion en elle-même, qui forme une boule terrifiante avant sa déflagration. À son corps défendant on se dit : voilà une explosion telle qu’on s’attendrait à en voir dans les films, ou dans une bande dessinée 3, oubliant bien vite que le réel est à l’épicentre des films, des bandes dessinées. Ensuite je me suis dit : si le 11 septembre avait eu lieu 20 ans plus tôt, nous ne l’aurions sans doute pas vu en direct à la télévision. Mais si le 11 septembre avait eu lieu 20 ans plus tard, nous l’aurions vu de mille angles différents. Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? La représentation d’un évènement, quel qu’il soit, modifie-t-il la nature de l’évènement, ou seulement la façon dont on s’en souviendra par la suite ? Sur les réseaux, pendant que les spécialistes des barbecue de la haine jettent de l’huile (n’importe quelle huile) sur le feu (n’importe quel feu), les messages s’amoncellent, qui sont les mêmes messages qu’on lirait partout pour n’importe quelle catastrophe, ou n’importe quelle (c’est comme ça que l’on dit en langage journalistique) tragédie. C’est affreux, vraiment, et il n’y a rien d’autre à dire ou faire que reporter cela dans une bulle, comme si nous étions à notre tour des personnages de BD, des personnages qui diraient à voix haute, c’est affreux, vraiment. Je veux dire ça l’est. Mais nous gisons donc figés dans nos pensées, qui en l’espace de quelques années (moins de vingt ans cette fois) sont devenues nos paroles. Demain, nos paroles seront devenues quoi ? Après-demain qui verra quoi du monde commun ? Une image homogène ? La balkanisation des points de vue ? Un réel vu par le prisme d’un œil de mouche. Un carré de 8000 vidéos sur 8000. La même scène vue sous 64 000 000 de perspectives différentes, et en cela identiques. Une scène de crime, non, une vision vendue à la découpe. Que peut-on faire contre ça ? Soi-même ne pas voir ? Ou alors le contraire, regarder quelque chose que personne ne regarde. N’est-ce pas cela aussi, écrire ? ![]() 6 marsJ’avais un problème, mais il a suffi de neuf signes ( Le soir et au début de la nuit, je faisais encore du vélo dans le parc. Il arrivait que l’Albinos bondisse par surprise derrière moi, sur la remorque, alors que je pédalais déjà. Sa tête apparaissait presque phosphorescente dans l’obscurité de la nuit et si, par hasard, quelqu’un regardait le parc depuis les fenêtres de la bastide, il ne pouvait certainement voir que cette tête-là, comme si elle se déplaçait toute seule dans les allées, et peut-être aussi les simples contours de son corps comme radiographiés dans l’espace. |
↑ 1 Que j’écrirai par erreur eau-delà.
↑ 2 Mainant les lappis sont dans leur cage et ils regardent dehors. On a fermé les cages avec le cadenas, zéro risico. Dans la cage de gauche, y a les deux mâles avec leurs poils bruns. Mais ils ne sont pas ensemble, il y a une planche au milieu de la cage et deux portes devant, sinon ils se tapent dessus, dit le Fatre. (Arno Camenisch, Derrière la gare, Quidam, traduction Camille Luscher)
↑ 3 On pense bien évidemment à cette scène fondatrice d’Akira :
↑ 4 Les ouvertures, Verdier, traduction Laurent Lombard, P. 159-160