David Le Breton



  • 081219

    8 janvier 2020

    J’écoute L’attentat en direct de Claude Ollier et je me souviens combien, quelques semaines ou quelques mois après les attentats de novembre 2015, plusieurs pontes ou journalistes de chaînes d’infos en continu se sont gargarisés de voir leurs audiences records être distinguées par médiamétrie, boostées par l’afflux généré par les tueries. Dans la pièce de Claude Ollier, il y a cette réplique : Ne regrettons pas nos facilités de trésorerie. Dès demain, nous en compterons les fruits. J’écoute Hiroshi Yoshimura, History of Nine Post Cards et je me dis : voilà ce dont j’ai besoin. La fin de Vernon Subutex, c’est aussi la fin du Journal du brise-lames. Dans Disparaître de soi, David Le Breton décrit le manque ou le sevrage chez un toxicomane comme des douleurs du membre fantôme. Ce qui m’amène à réaliser : je ne suis pas seulement en sevrage de Nocertone, je suis aussi en sevrage de triptan. Je suis aussi en sevrage d’anti-inflammatoire, sauf à considérer le maté comme un anti-inflammatoire. Que faire de ça ? Un jour, pour un exercice imposé, j’avais dû me décrire sans me référer à mon travail. Qu’avais-je dit alors ? C’est la même chose quand on me demande quoi de neuf, je n’ai rien dans la tête à répondre. Il n’y a jamais rien de neuf. Je commence à tomber malade (gorge, voix, fatigue). J’espère que ça ne viendra pas niquer mon expérience d’abstinence médicamenteuse. Aucune conséquence ne saurait être tirée de cet exercice, du moins pas tant que le sevrage du Nocertone ne sera pas terminé. Pendant un moment, j’ai enfilé avec soin les vingt-quatre perles qui composent le porte-bonheur d’Asakusa sur un fil en nylon élastique, mais sans néanmoins finir le travail, c’est-à-dire en laissant ledit bracelet infermé, du fil de part et d’autre de lui comme deux lambeaux de blanc en attendant que sais-je. Il faut réaliser un nœud papillon et j’ai besoin de Youtube pour ça. D’un tuto avec des doigts en gros plan et une voix, hors champ, qui commente ce que l’extrémité d’elle accomplit dans le cadre. Dans le cadre de ce tuto. Alors il faut m’imaginer pester seul et parler, dire à la fille mais c’est n’importe quoi ça marchera jamais (ça finit par marcher). Hier, j’avais du mal à retrouver mon personnage de pèlerin de l’errance. Je n’étais plus très sûr de savoir qui j’étais. Par moments, j’étais plus concentré sur la nécessité d’être cohérent avec mon personnage que sur l’idée de faire avancer l’intrigue, une intrigue dont mon personnage semblait, sinon exclu, du moins un peu écarté. Avec les grèves dans le métro, personne n’arrive à arriver nulle part, ou alors met des heures pour le faire. Moi, je ne cherche pas à aller où que ce soit et n’en suis donc pas affecté. Si je voulais aller quelque part, je marcherais. Mais pour aller où ? Et pour faire quoi ? Écrire dans un écran noir me semble la meilleure attitude à adopter en réponse à ce monde. Ne surtout pas savoir ce qui s’y vit sans soi. Dans son livre, Le Breton a un chapitre qui s’intitule « aspiration à la syncope ». C’est beau. Préparant mon maté ce midi, après avoir fait tomber la poussière dans ma paume : une marque verte, parfaitement circulaire. J’ai l’impression de renouer avec mes racines. Quelles sont-elles ? Je n’ai rien fait pour Noël. Cadeaux, idées, rien. j’attends. C’est plus sûr. Tout le monde éternue dans l’immeuble. On voit passer les sons à travers les cloisons en papier de nos boites à chaussure et, il y a peu, H. m’a dit avoir remonté les cinq étages à pied derrière un couple qui se parlait et alors, à un moment donné, une voix d’outre-tombe a surgi de derrière l’une des portes des appartements, disant ou chantonnant qui sait on entend touuuuuuuuuut. Parfois, quand on descend ou qu’on remonte les escaliers à pied, on sent la présence d’une bête derrière le bois des portes, quelqu’un ou quelque chose prêt à pousser un aboiement mais se retenant de le faire. Paix aux bêtes. À nous, non. On mérite pas la paix. Dehors, il pleut. H. est parti pour la journée et je suis seul avec le bruit de la machine, sur quoi je fais courir du son. Ça plus le bruit de mes doigts sur les touches du clavier, des doigts qui n’ont toujours pas tenté de faire le nœud papillon. Si je n’essaye pas, au moins, je n’aurai aucune chance d’échouer. Mais si je ne fais rien d’ici l’opération de Poulpir, comment me regarder en face dans un miroir ? J’ai cinquante Ulysse de retard désormais. Je vis ça bien. Ce que j’aime dans la douleur, c’est la dissolution de la douleur. Tout le contraire du désir. Un livre, je peux le prendre en grippe tout simplement car le moment où je l’ai lu, ou j’ai essayé de le lire, a fait lever de la colère en moi. Alors, je suis sans pité pour lui, ne pouvant être sans pitié pour moi, ou pour le souvenir de choses que j’ai, ou non, vécues. Pendant le dernier Marché de la poésie, en juin, j’ai acheté un « répertoir des termes bouddhiques ». Je ne l’ai pas ouvert, craignant que ça ravive chez moi le désir non de devenir bouddhiste mais de me remettre à écrire Grieg. Pourrais-je me le permettre ? Non de le faire mais de le vouloir. C’est pour cette même raison que j’ai laissé de côté les Mille et une nuit. La destinée de Grieg est intimement liée à la destinée du site. Mes espoirs sont dans le BM3, qui devrait m’être livré demain ou mardi, pour pouvoir reprendre ce travail car, dans le noir, on ne peut pas coder. Peut-on penser dans le noir où est-on constamment sous le feu des criculations de signaux et de lueurs ? J’aimerais réécouter Morton Feldman ou John Cage, un peu comme on se dit j’aimerais relire toute la Recherche. La question, c’est comment. Dans quelle temporalité ? Dans quel ordre surtout. Je relirais bien le Seigneur des anneaux. Franck Queyraud se moque de moi quand je dis ne pas aimer quelqu’un comme Tom Bombadil, mais en réalité c’est tout à fait faux : celui qui n’aime pas Tom Bombadil, ce n’est pas moi, c’est mon moi de quatorze ou quinze ans, la première (et seule) fois où je l’ai lu. Qui sait aujourd’hui ce que je penserais de lui ? L’autre jour j’ai écrit le mot Kafka dans un brouillon pour une quatrième de couverture et je m’en suis voulu. Ça ne projette pas le bon imaginaire. Ça lie le texte à une énergie qui n’est pas la sienne. C’est faire le jeu du name dropping et des fauses pistes. C’est faire le jeu et non le je. Revenir dessus, donc. J’ai le temps. On se dit toujours qu’on a le temps. J’ai le temps de faire Grieg, j’ai le temps de relire Eff au calme. Mais le calme, ça se provoque, non ? Le temps, ça s’instaure. Ça se crée. Quand je suis calme, la douleur a moins prise. Ma peau serait plus lisse. Quand je m’énerve, elle s’accroche, et ça se prend dans le tissu, comme quand on a de petites écorchures et qu’on porte des gants. Quand je pense à la douleur, la douleur est plus forte. Pour autant, certains disent qu’il faut aller au fond d’elle, respirer en elle, inspirer en elle, expirer en elle, faire le vide en elle pour parvenir à réellement l’approcher. Est-ce qu’on a intérêt à réellement m’approcher ? C’est un lapsus intéressant, je voulais écrire l’. Je corrige pas. De toute façon, je ne vois pas ce que je fais. Chiasma, c’est l’histoire de quelqu’un qui a mal. En miroir, un autre récit, d’un lieu où la douleur n’existe pas, du moins pour les personnages que l’on suit. Être quelqu’un, qui que ce soit, c’est avoir mal ? Ou redouter ce mal ? Ou s’en souvenir ? J’ai acheté du Bion3. Ça m’a coûté quinze balles. Et aussi, aux Nouveaux Robinsons, il y avait un bocal de cinq cent comprimés de Spyruline : 39€. J’ai lu quelque part que la Sypruline pouvait déclencher des migraines. De ce que j’en sais, ne pas prendre de Spyruline en déclenche tout autant.