![]() 15 avril 2020Cette journée aurait-elle été fondamentalement différente si nous ne nous étions pas trouvés en situation de confinement pandémique ? Je ne serais pas non plus allé voter. J’aurais malgré tout terminé de revenir sur les quatre premières nouvelles tirées de Sing to It, envoyées à T. et H. dans la foulée pour avoir leur avis. J’aurais indubitablement lu ce que j’ai lu, et dit ce que j’ai dit, quand il m’est arrivé de dire. Ici, est-ce que je dis ou est-ce que je pense ? Je prends du retard dans Ulysse (-30 en une semaine). Est-ce grave ? Je veux dire, j’en aurais pris de toute façon. Chaque fois que j’actualise Twitter, je me lave le mains. Ou bien est-ce le contraire ? On entend des sirènes au loin, mais n’est-ce pas le cas en temps normal également ? Nous ne sommes pas encore en plein pic. En plein pic, les gens disent que c’est pire. Qui le dit ? Je ne sais pas, des paroles qu’on relaye sur les réseaux pour se faire peur (ou pour se préparer à la réalité de demain). Quelqu’un dans l’immeuble parlant dans les parties communes s’embrouille avec quelqu’un. C’est suffisamment courtois semble-t-il mais enfin il n’empêche, le message est tout de même, ne touchez pas ma porte. Leopardi 1 : Il faut distinguer le vaste du vague ou de l’indéfini. ![]() 16 avril 2020Des rumeurs (fondées ou non) se répandent sur les réseaux quant à un confinement beaucoup plus strict, encadré possiblement par les forces de l’ordre et/ou l’armée (ce ne sera finalement pas le cas, enfin si, mais pas au point que). Quand on regarde ce qu’il se passe dans des pays voisins, on ne voit pas comment nous pourrions y échapper, à plus ou moins long terme. En plein milieu d’une conversation avec H., qui est en télétravail à partir d’aujourd’hui : attends, j’ai plein d’élèves qui arrivent sur le serveur, il faut que je les accueille. Nous sommes donc chacun en présence l’un de l’autre mais absentés dans nos tâches professionnelles respectives. J’ignore dans quelle mesure il s’agit d’une recommandation (ou d’une obligation) des pouvoirs publics, mais Monoprix filtre maintenant l’accès à ses magasins pour ne pas abriter plus d’un certain nombre de clients à la fois ; mais sans protection d’aucune sorte pour ses salariés. Alors c’est comme dans les musées, pour les expos à succès, on entre cinq par cinq. Dans les files d’attente, un bon mètre d’écart entre les gens voire deux. Deux, c’est mieux. Enfin c’est à vue de nez. Tout le monde ne comprend pas. Cela semble folklorique à certains. Lisent-ils la presse (ou elles) ? L. par texto me dit comment ça se passe de son côté (même topo, courses, etc.). M. un moment par téléphone : tous les bureaux chez STAT sont fermés, tout le monde en télétravail, et pour combien de temps ? Horace : Inconscient d’où il s’assure la vie, / celui-là confond guerre et paix 2 Macron 3 : nous sommes en guerre (six fois). ![]() 17 avril 2020Tous les mardis, chaque semaine, les mouettes donnent le signal du début (et de la fin) du marché qu’il y a en haut de la rue T. Les gens remontent cette même rue T. (d’ordinaire pas spécialement passante) et les voitures klaxonnent, car l’accès au rond-point se fait via un goulot d’étranglement qui les fait s’insérer au compte-goutte. Aujourd’hui ne fait pas exception même si, au bout du compte, ils doivent ensuite s’insérer dans une ville censée être vide. On voit la rue depuis la fenêtre, donc on voit les gens aller venir, toutes sortes de gens, à pied, seuls, en vélo, en trotinette en libre service. Les gens se croisent sans réellement prendre leur distance, des fois s’arrêtent, se saluent mais de près, de près se parlent. Ils se parlent aussi dans l’immeuble, de longues conversations sur des paliers de portes (ouvertes ?). Et pourtant ils toussent. Il faut s’imaginer la scène : pendant que le lave-linge tourne bruyamment, que les voisins dissertent dans les escaliers sur les autorisations de sortie, que celle du sixième lance sa balle au chien (et qu’il la lui rapporte) je suis dans le salon au téléphone avec J. pour voir comment nous allons mettre en place de nouvelles façons de travailler à distance pendant le confinement (et la fermeture des librairies), H. étant de son côté dans la chambre en train de faire un cours sur la tragédie à ses élèves en visio, le tout suivant les aléas d’une connexion sur laquelle tout le pays doit être en train de tirer, puis j’essaye de relire un peu Horace (S’en sont allées les neiges et déjà revient l’herbe dans les plaines, / et leur chevelure aux arbres) quand je peux, c’est-à-dire quand je suis mentalement présent pour, avant qu’une petite bibliothèque de village nous contacte pour mettre en place un abonnement numérique en urgence pour pouvoir proposer de la lecture à ses inscrits pendant la pandémie. Sur les réseaux, tout le monde se met à écrire des journaux de confinement. Vont-ils poursuivre leur journal de confinement, pour celles ou ceux qui n’écrivent pas d’ordinaire, réalisant qu’une fois arrivé à son terme une forme d’écriture intérieure aura pris possession d’eux ? Ce journal est à considérer comme un journal de confinement de moi-même ; il dure depuis 2008 et avant. Quant à moi, j’ai beau recommander aux gens de lire dans le message que nous adressons à tous aujourd’hui, j’en suis incapable à titre personnel. Je ne sais aller que d’un flux à un autre. Errer pendant vingt minutes dans le monde dystopique de Ghost in the Shell. Ou regarder un épisode d’un quart d’heure de (eh oui) We Bare Bears. ![]() 19 avril 2020À défaut de lire dans la vie, je peux lire dans mes rêves. Là, une nouvelle d’Amy Hempel inédite, traduite par Quentin Leclerc et que je m’apprête à publier. À moins que ce soit le contraire ? On ne sait pas. Il y a un flou sur la question de l’auteur, du traducteur et de l’éditeur. Les positions s’interchangent. C’est fluide, mais plutôt dans le sens de trouble, je dirais. Trouble, le récit de la nouvelle l’est. Quelqu’un part en montagne sur les traces de quelqu’un d’autre, qui le devance d’une bonne journée de marche. La focalisation flotte et on ne sait pas très bien si on vit l’intrigue avec celui qui cherche ou celui qui est cherché. On ne sait pas s’il faut regarder devant ou derrière. Somme toute, c’est une mise en abyme du rêve lui-même, lequel est une mise en abyme de la vie (qui suis-je, que fais-je). Les mouettes sont encore là, qui crient dans le ciel et autour, alors qu’aujourd’hui il n’y a pas de marché. Ce n’est donc pas normal. Ce n’est pas anormal pour autant. Un dernier panier de légumes des Amap nous attend normalement là où nous les récupérons. Pour H. : descendre jusqu’au bout du boulevard Poniatowski, juste avant de rejoindre la Porte Dorée. J’ai retrouvé un masque anti-pollution dont je ne me suis jamais réellement servi à vélo vu combien il est difficile d’y respirer avec. Est-ce de nature à protéger qui que ce soit de quoi que ce soit ? Il faut se considérer comme potentiellement contaminé. N’est-ce pas une posture philosophique ? Je vois passer sur les réseaux des photos de Paris, rues désertes, places sans âme. Elles ne cadrent pas avec la réalité de ma rue, du moins ce que je peux voir d’elle. Voitures en nombre dans les deux sens. Passants qui montent ou qui descendent, parfois avec un chien près d’eux. Comérages habituels dans la cour de l’immeuble, distances de sécurité molles. Est-ce que ça a du sens de relire Horace ? Souvent je bloque sur un vers, je recommence depuis le début ; je suis dans mes pensées ; je ne sais plus où je suis. À 20h si : sur mon balcon comme d’autres en train d’applaudir dans l’écho de la cour intérieure les soignants de tous bords. À 20h02 s’entendre émettre une de ces phrases qu’on ne se serait jamais cru capable de prononcer à voix haute de notre vie : tu peux mettre Castaner, stp ? H. doit faire ses vœux pour sa mutation l’année prochaine, c’est une situation absurde. On fait comme si l’épidémie n’existait plus ou était sur le point de s’éteindre. On regarde la carte. Les villes, les établissements scolaires, les grands axes, les gares, la distance. La mer. ![]() 20 avril 2020Castaner ne l’a pas dit dans son allocution d’hier, mais les voyages dans le passé sont également proscrits. De même que les projections dans l’avenir. Un ami à nous est malade, il a attrapé le virus. Nous finissons les pois chiches. Ce n’est pas de la froideur, c’est de l’angoisse. On semble s’étonner sur les réseaux que les écrivains mainstream après avoir écrit des romans mainstream écrivent des journaux de confinement mainstream (c’est indécent). C’est indécent, parce qu’au fond on ne supporte pas, ou plus, que l’on rende compte d’une vie qui ne soit pas celle d’une vie réelle. La vie des écrivains, ça va bien cinq minutes. Et ce n’est pas la réalité. Les écrivains, ils sont là pour nous abreuver de fiction(s). La vie réelle, on ne la veut ni ceci, ni cela. Ni trop bourgeoise ni trop confortable. On veut des récits de la souffrance et de la misère, de préférence. Ils sont plus vrais que d’autres. C’est étrange. C’est étrange, et ça se comprend. C’est entre. Mais on reproche à certains autres d’écrire sur ce qu’ils ont sous la main, ou ce qui les obsède, c’est-à-dire la pandémie. Il faut s’exprimer ; il ne faut pas s’exprimer. S’exprimer, c’est invisibiliser celles et ceux qui ne s’expriment pas, que ce soit par choix ou par impossibilité de le faire ; s’exprimer, c’est rendre compte et il faut. Quand on écrit quoi que ce soit, d’autant plus sur un sujet angoissant, qui nous dépasse, qui plus est sans recul, sans filet, on écrit toujours dans ses faiblesses, dans ses douleurs, dans ses douceurs, dans sa lâcheté. Ces lecteurs offusqués n’ont-ils (et elles) rien de cela ? Quand les salariés d’X secteurs se retrouvent à tâtonner dans leurs fonctions pour tâcher de télétravailler quand même, dans ce contexte pesant, ils le font souvent maladroitement, et puis les choses vont trouver leur équilibre. L’écrivain, lui (ou elle), doit dans l’heure te sortir un chef d’œuvre qui soit respectueux des sensibilités de chacun, et être un modèle d’exemplarité morale. D’ailleurs ça tourne sur les réseaux : Shakespeare a écrit le Roi Lear pendant une épidémie de peste. Donc merci de te confire dans le chef d’œuvre, et si possible vite car c’est maintenant qu’on s’ennuie. Peut-être que ces auteurs, quels qu’ils soient par ailleurs, écrivent des textes qui correspondent aux livres qu’ils publient chaque année ? Textes dont je n’ai lu que des bribes, celles en accès libre (comme tout le monde, au fond). Il suffirait, quand ça dépasse ce que l’on est en capacité d’absorber, ou quand c’est contraire à nos valeurs, ou quand on trouve ça naze, de ne pas lire. Mais à aucun moment, il n’est question de lire quoi que ce soit. En revanche on souhaite ardemment pouvoir commander des livres en livraison à domicile, ou que les librairies (commerces de première nécessité) rouvrent. Cela bien sûr en disposant de piles non lues pantagruéliques chez soi. Ce n’est donc pas une question de lecture, mais de pulsions d’achat. Et, comme souvent quand il s’agit de disserter sur la littérature, ça n’a strictement rien à voir avec la littérature. Le pire, c’est qu’en réalité de ces sujets bien précis (l’écriture d’un journal de confinement par X ou Y, la publication d’une série littéraire sur l’épidémie au plus près de son actualité directe, l’ouverture ou la fermeture des librairies dans les villes qui ont encore des librairies), tout le monde s’en fiche. Ce qui compte, c’est le taux : colère que l’on cultive en soi, agressivité que l’on reporte sur les réseaux. Pour se maintenir en vie malgré l’arrêt soudain de tous nos mouvements ? L’indignation, en soi, comme mouvement, ou illusion de mouvement, dans l’atonie. Bref interlude au saxophone dans la cour intérieure ? Non, c’est une sonnerie de portable d’une voisine dans la cage d’escalier (l’église est fermée !). Plus tard, cette fois bien dans la cour intérieure, les professionnel(le)s de la propagation des miasmes sont sur le pied de guerre : bon, je vais repartir, là, et puis je reviendrai dans deux trois mois. Le confinement, moi, je veux bien, mais le chocolat à 98% c’est au-dessus de mes forces. Notre animalerie envoie un mailing rappelant qu’aucune preuve existante ne permet d’affirmer que les animaux de compagnie sont un vecteur de transmission du virus, et donc de ne pas abandonner les siens. Les nôtres n’ont pas conscience qu’il se passe quoi que ce soit, et le confinement semble être leur mode de vie habituel (tout comme moi). K. prend de nos nouvelles en voyant justement les nouvelles arriver jusqu’à lui. À Tokyo, il est encore libre de ses mouvements et peut aller travailler. Pour combien de temps ? Moi, je me pose des questions. Je me demande comment fonctionne la class Aucun siècle, même le plus barbare, ne s’est jamais cru barbare ; il n’en est même aucun qui n’ait cru incarner la fine fleur de tous les siècles et qui ne se soit considéré comme l’incarnation de la perfection de l’esprit humain et de la société. Méfions-nous donc du jugement que nous portons sur notre époque, ne regardons pas l’opinion actuelle mais les faits et essayons d’imaginer ce que sera le jugement de la postérité — dans la mesure où elle sera capable de juger correctement. (12 février 1821). Benoît Vincent, dans un livre à venir : L’avenir est monstrueux. ![]() 21 avril 2020À supposer que les choses soient réellement différentes de d’habitude, tout est devenu encore plus factice. Les bruits d’oiseaux qui sortent de ton téléphone pour te réveiller le matin n’existent pas dans la réalité. L’heure à laquelle il sonne n’est pas l’heure à laquelle je vais me lever, ni même l’heure à laquelle je me réveille, ni même l’heure exacte des fuseaux horaires. Les injonctions permanentes qui tombent sur la tête des gens confinés n’ont aucune finalité : elles sont là simplement pour occuper l’esprit. Sois productif. Travaille. Montre combien tu es efficace même dans l’adversité. Prends la mesure de la situation mais ne perds pas ton sens de l’humour. Maintiens-toi en forme. Prends l’air mais reste chez toi. Alimente-toi correctement quand même (mais tes petites habitudes bourgeoises, ça va bien cinq minutes : nous sommes en guerre). Applaudis les soignants à heure fixe mais débrouille-toi pour avoir un masque avant eux. Lis, cultive-toi. Ne fais pas de mauvais esprit en demandant des moyens supplémentaires et des budgets pour les hôpitaux mais relaye les appels aux dons privés et les déclarations des footballeurs. N’écris pas de journal de confinement (mais écris un chef d’œuvre). Et tout est comme ça. Tout est comme ça, et tout est long. Dès que tu ouvres ton navigateur web pour faire quelque chose de précis, tu tombes sur un flux d’infos ou de témoignages en direct et c’est vertigineux. Tu ne t’en sors qu’en te demandant ce que tu étais venu faire là à la base (et bien sûr tu ne t’en souviens plus). Quand tu sors faire des courses après t’être carapacé comme Dark Vador (sans réaliser que dehors, ce n’était plus l’hiver, et qu’il faisait déjà 20°), tu mets mille ans pour entrer dans le supermarché (file d’attente, garder tes distances). Et puis mille ans à prendre tous les trucs sur ta liste (sauf bien sûr les trucs les plus importants que tu oublies). Mille ans à faire quinze mètres à force de tomber sur des gens dans les allées avec qui c’est le duel de western pour ne pas se croiser. Mille ans à payer (les caissières sont "protégées" par des panneaux en plastique installés à la va-vite, rien de plus). Mille ans à tout ramener tellement c’est lourd. Et là, au pied de l’ascenseur, des quidams en train de discutailler sans distance, sans protection, qui prendront l’ascenseur ensemble et qui se toussent dessus à longueur de journée. Et ça t’a pris une heure et demi de faire tout ça. ![]() 22 avril 2020La distanciation sociale s’immisce dans le moindre réseau (de pensées, d’actions conscientes, d’inconscient, de câbles et de données). Je reçois, là, maintenant, la notification d’un message laissé sur ma boîte il y a cinq jours. Et dans mes rêves, quand je parle du Japon, où finalement nous ne retournerons pas cette année, à des amis dans un genre de cantine, nous sommes assis sur des sièges à hauteur variable pour pouvoir être ensemble dans le même lieu, mais certes pas au même niveau d’altitude et de parole (distanciation verticale). D’autres questions se posent. Hier, nous avons reçu ici cinq personnes : faut-il tout désinfecter à présent ? C’est du moins la question que je me pose spontanément. Sauf que bien sûr nous n’avons physiquement reçu personne, nous nous sommes vus en vidéo partagée. C’est comme : que faire du covid sur un serveur qui héberge ton site quelque part, comment nettoyer ça ? Faut-il faire changer les DNS qui relient le nom de domaine au serveur mutualisé pour que l’un ne contamine pas l’autre ? Ou alors : que faire de la distanciation sociale quand on répond à un mail ? Je me réveille sous la toux des autres (du moins le bruit émis par elle) : voisins plus ou moins proches en distance et dans le temps qui se réveillent elles et eux aussi, peut-être dans la douleur et/ou l’angoisse. Plus de lait de coco, plus de graines de lin, de chanvre et de chia. On peut vivre sans ça. Peut-on vivre sans goût à rien pendant 58 jours ? La quarantaine à Wuhan a duré 58 jours. Peut-être même qu’elle dure encore. Sachant que le confinement là-bas est supposé plus strict (ou plus dystopique ?) qu’ici, faut-il s’attendre à aller au-delà de ces 58 jours ? 58 jours, c’est une sacrée distance sociale. Quelle part de la distance Terre-Lune en 58 jours ? Et quand on pense à la distance parcourue (non dans le monde mais dans sa tête) entre celui qu’on était alors et celui qu’on sera ensuite, c’est vertigineux. En même temps, ce sont des jours qui ne sont rien. C’est ambigu. C’est tendu. Par exemple, là, le frigo choisit son moment pour montrer des signes de faiblesse. On retiend notre respiration. On l’ouvre juste pour vérifier qu’il marche. La courge est moitié spaghetti moitié pas. Comment la préparer ? Quelque chose ou quelqu’un miaule mais je ne saurais dire où. On tousse. Je veux dire : ça tousse. Pas nous mais quelqu’un, là encore. C’est précisément le problème : quand on dit (pense, écrit) c’est quelqu’un, c’est que c’est donc personne. On peut se désintéresser de tout ça. Et passer à autre chose. Chercher comment rendre sticky un élément sur une page, par exemple. Et ça marche. C’est sticky. ![]() 23 avril 20201) On sort sur un balcon chaque soir à 20h applaudir les soignants ; c’est la moindre des choses. Et c’est aussi le problème. C’est la moindre des choses. 2) En pouvant prendre sur lui la capacité de décision de mise en production de stock conséquent de gel hydroalcoolique et de masques via ses usines et laboratoires LVMH, Bernard Arnault (dont la fortune s’est accrue considérablement ces dernières années, notamment en récupérant en baisse d’impôt des parts de budget qu’on peut considérer comme étant précédemment allouées à l’hôpital public) a littéralement le pouvoir de vie ou de mort sur au mieux des milliers, voire des dizaines ou des centaines de milliers de personnes. Paradoxalement, cela devrait nous rassurer : le pouvoir, n’est-ce pas son domaine principal d’expertise ? 3) Les appels aux dons se multiplient pour les hôpitaux publics, ainsi que les appels à volontaires. Quid d’un plan de secour immédiat du gouvernement ? 4) Leopardi 5 : Nous pouvons passer des années entières sans jamais éprouver un plaisir réel ou une sensation, même momentanée, de plaisir. L’enfant ne passe pas un jour sans en éprouver. Pourquoi cela ? Parce que nous avons la science, et lui l’ignorance. Il est vrai que c’est l’inverse pour la douleur. (2 juillet 1821) 5) Des tests dont les protocoles sont parfois présentés comme discutables se déroulent dans l’urgence pour tâcher de trouver un traitement efficace contre le virus. Sur les réseaux, tout le monde développe un genre d’expertise en flux croisés, qui est la même au fond que l’avis de tout un chacun en matière de composition d’équipe dans le foot. Hier, tout le monde était entraîneur et sélectionneur national. Aujourd’hui, tout le monde est chimiste ou biologiste ou épidémiologiste. En réalité, tout le monde s’en remet non aux faits eux-mêmes, ou aux chiffres, mais aux récits qui les transmettent, et les transcrivent. Ce faisant, chacun pratique une forme de littérature sans littérature, le tout nez à nez avec elle, sans aucune forme de recul, et loin des gestes barrières mentaux nécessaires pour les tenir à distance avant de les intégrer dans nos raisonnements le plus sereinement possible, si possible sans passion. 6) Séismes de part le monde : Mayotte, Zagreb, Nevada, Californie, Tibet. 7) Une erreur dans le titre de cette entrée du journal : j’écris d’abord 220220, comme si nous étions encore protégés dans un pli temporel incertain, dans le confort du passé (lequel n’est jamais perçu comme confortable, malgré toute la liberté dont on disposait alors et qui semblait un dû). 8) Pas de masques ni de tests pour les populations (contrairement à la plupart des pays en Asie) mais des drones disposant du pouvoir de nous voir. À quoi ressemblent leurs yeux quand ils nous voient ? Que font-ils de cette information ? Que disent les messages préenregistrés qu’ils diffusent ? Quelle est la forme de leur iris, s’ils en ont une ? Leurs yeux, à supposer que leur corps tout entier n’en soit pas un seul, immense, armé de bouches et d’ailes, libellules oculaires et armées pour le vol stationnaire, ont-ils des cils (les cils étant les ongles des yeux, écrit Rodrigo Fresán) ? Or s’ils ont des griffes, ils peuvent donc nous atteindre, je veux dire nous toucher ? 9) En contexte d’épidémie (pandémie même), les gens pourraient-ils se retenir de cracher par terre ? Dieu sait combien c’est déjà pas indispensable en temps normal. 10) Un savon bio artisanal dure une semaine. 11) On stoque des bocaux en verre vides. 12) Sur les réseaux, il y a deux types de réaction lors de la mise en ligne d’un article à visée scientifique, notamment sur la question des traitements possibles : un enthousiasme débridé, qui se traduit généralement par des partages à outrance d’articles que par ailleurs nous n’avons pas toujours les moyens d’intégrer ou de comprendre VS un scepticisme qui confine à la paranoïa (c’est du charlatanisme). Notons que les mots débridé et paranaoïa peuvent bien sûr être intervertis, et que tout un chacun semble avoir développé un avis éclairé sur la chloroquine, substance dont, pour la plupart d’entre nous, nous n’avions jusqu’alors jamais entendu parler. Nous avons tous été amputés de toute forme de raisonnement ; il nous manque un espace tampon de la pensée pour absorber les choses (et les chocs). 13) On connaît le sigle FFP2. 14) Roselyne Bachelot est en tendance ; Roselyne Bachelot avait raison. 15) Certains se retrouvent parfois à penser et / ou à dire des trucs comme profitons du confinement pour... ou encore faisons-en une opportunité. Sans doute, derrière, du moins c’est ainsi que je l’imagine, ou que je l’espère, de la honte. 16) Des chiffres circulent qui sont aussi notre projection dans l’avenir : 45 (jours), 58 (jours encore), quand ce n’est pas plus lointain, et plus vague (vers la fin de l’été, ou septembre). Personne n’en sait véritablement rien. Mais il y a comme un besoin vital de s’arracher au silence et de dire, quoi qu’on dise, et de chercher l’après. 17) Dimanche est toujours un dimanche. 18) On entend tapoter sur les murs (lorsque les gens normaux s’ennuient, ils bricolent). Les soignants recommandent aux confinés d’y aller mollo sur le marteau et la scie circulaire : les urgences commencent déjà à voir venir des mains blessées de n’être pas restées confinées dans leurs poches. 19) Contrairement au spam, le démarchage téléphonique s’est tu. Soit sans doute au seul moment dans l’année (ou bien, qui sait, dans nos vies ?) où nous aurions eu quelque chose à répondre, voire une conversation à engager. 20) Dans La part rêvée, Rodrigo Fresán n’est certainement pas après le livre, ni même (à supposer que ça ait seulement du sens) après la littérature ; il est après l’écriture. C’est à la fois un problème et une solution. 21) On calcule combien de jours se sont écoulés depuis notre dernier déplacement risqué dans le monde (comprendre : un déplacement qu’autrement on aurait tendance à considérer comme normal) et on y ajoute 14 jours, soit la durée supposée d’incubation du virus. On estime le moment à peu près où on pourra se sentir plus libres dans nos têtes, tout en omettant tous les micro-moments ou gestes qui étaient tout sauf safe réalisés pourtant pendant la période de confinement. On cherche à estimer le pic de prises en charge dans les hôpitaux en faisant des calculs d’apothicaires. On peine à orthographier correctement apothicaires du premier coup. 22) En fait, on ne supporte plus le mot confinement. 23) On a ses parents au téléphone plus souvent que d’habitude. 24) Trois paires de gants qui sèchent font six. 25) On porte des fringues dépareillées, sauf les chaussettes car on n’est pas des monstres. 26) Sous quels aspects permets-je au temps et à l’espace de glisser à travers moi ? 6 27) À force de ne rien faire de son énergie, quand on en a encore, on n’en a plus. |
![]() 24 avril 2020Désinfecter compulsivement les courses à coup de lingettes, n’est-ce pas un peu extrême ? Tout est devenu extrême, ne serait-ce que se dire : le beurre salé est en pénurie, il ne reste plus que du beurre doux (et comprendre où penche donc la balance). Il faudrait être en capacité de voir le virus. Mais disant ça, ou du moins le pensant, je ne sais pas si je parle au premier degré ou par métaphore. Rien ne change donc jamais ? Je ne sais pas à quoi ça tient, mais je me retrouve à consulter la météo pour les prochains jours. C’est étrange. Et relativement peu utile puisque tout déplacement à l’extérieur est exclu. Quoi alors ? Il est question du froid et du sol, des capacités de tout un chacun à supporter de mineurs inconforts. Sur Twitter, c’est très perturbant de voir passer chaque jour les petites vidéos du violoniste Renaud Capuçon qui nous joue quelque chose. Il y a un hiatus entre les intentions supposées de la personne (jouer pour des gens qui sont coincés chez eux, et qui possiblement s’ennuient, dispenser gratuitement de la musique à qui veut l’entendre, voir l’écouter, rendre la culture prétendument élitiste accessible au plus grand nombre) et le récit porté par l’image. Chaque jour dans une pièce différente, les intérieurs (ou, parfois, extérieurs) bourgeois se succèdent 7. C’est une pastille expédiée depuis un autre temps : celui de l’opulence. Les voyant passer (sans même avoir besoin de les lire véritablement, la miniature faisant toujours son effet), on a le sentiment que son propre intérieur n’a rien de bourgeois. En réalité si : nous sommes souvent le bourgeois de quelqu’un d’autre. Mais là, en l’occurrence non. Noémi Lefebvre remarque que ces pastilles vidéos ressemblent à cette scène du film Titanic au cours de laquelle les musiciens se mettent à jouer en attendant que le navire coule, car c’est là tout ce qu’il y a à faire. D’autres personnes, pas nécessairement en lien avec cette vidéo d’ailleurs, évoquent le film Un jour sans fin : là, le personnage incarné par Bill Murray doit revivre encore et encore la même journée jusqu’à ce que son personnage parvienne à devenir quelqu’un de bien. Est-ce à cela qu’on se destine en tant que personne, et même en tant qu’espèce ? Ou bien est-il en réalité question d’espace ? L’espace, on le devine partout autour du musicien qui peut aller d’une pièce à l’autre (culture, tableaux, instruments de musique, livres, disques, végétation en arrière plan donnant l’impression de dire tout, sans pourtant avoir droit à la parole), et autour de soi pas. Ou peu. Ou trop peu. Nous avons 35 (ou 37, je ne sais jamais) mètres carrés ici et nous sommes deux (plus deux lapins). Je sais par ailleurs combien nous sommes loin d’être les plus à plaindre. Et au fond tout le monde commence à trouver et le temps long, et les intérieurs étroits. Quelle hauteur sous plafond ? Qu’en est-il du volume ? Combien de ce volume doit être alloué aux livres, que nous avons en quantité ? Se dire que si nous en avions moins, nous aurions plus de place pour nous. Mais peut-être que ce n’est pas comme ça qu’il faut raisonner. C’est même le contraire : de l’espace en plus. Non de l’espace en moins mais de l’espace en moi. Il vaudrait mieux se remettre à lire, quoi. Mais plutôt que lire effectivement, je préfère entretenir des perspectives de lecture (j’achète des livres numériques en promotion chez Galley Beggar Press), je me fais un panier ogresque sur Epagine (en partie en promotion également), je télécharge l’application Rocambole qui vient de sortir sur Android. Là encore, c’est une question d’espace, de champ de vision, de profondeur de champ, de perspectives d’avenir. Où est-il notre avenir ? Brouillé, comme mon œuf du matin dans de l’huile de coco tant qu’il m’en reste encore (ce qui, en soi, est tout aussi bourgeois que l’arrière-plan des vidéos de Renaud Capuçon). ![]() 25 avril 2020Je ne suis pas confiné dans un 35 (ou 37) mètres carrés. Je ne suis même pas confiné dans mon corps (combien de volume habite-t-il ?) mais dans mon crâne. Ici, je cherche quelqu’un. C’est dur de chercher quelqu’un, qui que ce soit, dans son seul esprit. Ce n’est pas quelqu’un que je connais, c’est quelqu’un que je ne connais pas encore. Ce n’est pas quiconque que j’ai déjà lu, mais quelqu’un que je veux lire. Pour l’heure, je ne trouve pas. Mais je sais que ça vient, et je ne désespère pas. Hier soir, j’ai retrouvé la lecture 8. C’est à entendre comme on dirait j’ai retrouvé le sommeil. Dans Djinn, Robbe-Grillet se joue des apparences. Tout n’est qu’apparence(s). Cela rend le récit à la fois très ludique 9 et pratiquement insupportable : la possibilité même de la fiction est désamorcée avant même qu’elle puisse survenir. Quand tout est un récit (et un récit de récit, ou récit dans le récit), plus rien n’est tangible, vu que nous passons notre temps à ne pas savoir sur quel pied danser ; nous cherchons notre équilibre. Rien n’est stable. Une réplique en particulier à ce sens éclairante : Plus tard, je veux faire des études pour devenir héroïne de roman. C’est un bon métier, et cela permet de vivre au passé simple. De prime abord, c’est un passage assez drôle. En fait, il est assez symptomatique de ce qui se développe esthétiquement dans ce livre (et ce qui se développe inconsciemment dans les crânes des confinés) : cette réplique est fausse à une dizaine de niveaux, le tout en l’espace de deux courtes phrases, et en moins de 25 mots. D’abord, il n’y aura pas de plus tard : le temps du récit est circonscrit au récit ; ce personnage (qui est un enfant, aux raisonnements d’adulte) ne verra pas l’âge adulte. 2) On ne fait pas d’études pour devenir héroïne de roman, les études ayant lieu dans la vie et l’héroïnat de roman dans le domaine de la fiction. 3) On ne peut pas devenir héroïne de roman : on l’est ou on ne l’est pas. 4) Ce personnage est nécessairement condamné à un rôle secondaire, étant un personnage secondaire dans un récit : la progression, l’apprentissage, la métamorphose ne lui sont pas offertes dans le cadre de l’écosystème du roman. Si c’était possible, ce ne serait pas un roman, et la phrase serait fausse encore. 5) Ce n’est pas un métier, ni bon ni mauvais. 6) Cela ne permet pas de vivre, c’est même précisément le contraire : un personnage de roman par définition n’ayant jamais accès au domaine de la vie (le contraire en revanche est possible). 7) Même à supposer qu’il vive dans le domaine de la fiction, un personnage vivrait le passé simple comme son présent, et son passé simple serait encore un autre temps à lui, vu de notre perception. 8) Si un roman ne peut qu’être écrit au passé simple, alors Djinn n’est pas un roman. Si Djinn n’est pas un roman, comment peut-on être un personnage de roman en son sein ? Le rapport avec les confinés ? S’agissant d’actualité du virus, ou les traitements possibles pour le combattre, tout le monde se fait un avis, basé sur rien, ou sur des représentations de représentations (des études fragmentaires, des témoignages dont on ne peut s’assûrer de la fiabilité, des on dit), et chaque nouvelle information qui sort est contredite par la suivante. Tout est récit (Dans tous les cas une même cendre narrative 10), donc rien ne l’est. Tout est juste, mais juste par défaut, dans l’attente de devenir faux. Tout est désamorcé avant même qu’une quelconque réalité ait eu le temps de s’instaurer, ou de s’incarner. Ces mots qu’on lit pourtant (puisqu’on en est réduit à lire tout ce qui s’accumule) ne sont pas des mots mais des paroles. Des suites de sons dont il n’est pas averré du tout qu’ils contruisent une ph(r)ase cohérente dans la durée, et qu’ils ne soient pas déminés par d’autres encore à venir. Ce dont nous faisons l’expérience, ce n’est pas l’absurde, c’est une mise en son de situations qui, pour être pleinement vécues, disons interriorisées, devraient être réduites au silence. Nous sommes donc au même stade d’hébétude que le narrateur de Djinn quand il en vient à faire la rencontre de ces deux enfants qu’il est impossible de concevoir comme tels : l’un est mort, mais va renaître, l’autre est une adulte qui dit pressentir son moi futur, or la possibilité du temps n’est plus tenable 11. Un autre passage est assez significatif sur ce sujet : on eût dit qu’elle parlait d’ailleurs, de très loin dans le temps, qu’elle se tenait dans une sorte de monde futur au sein duquel tout serait déjà accompli. C’est le contraire du livre par rapport au lecteur : le livre se tient dans un point passé, fixe dans le temps dirait le Docteur, et s’adresse depuis ce passé à un lecteur nécessairement futur. Mais si on regarde les choses désormais non plus depuis le point de vue de l’objet commercialisé qu’est le livre, mais selon celui de la narration contenue dans le livre, c’est à nouveau le contraire (le contraire du contraire) : le récit parle bien au lecteur depuis un point futur, qui est l’issue de lui, le point vers lequel il tend, et vers lequel il tente d’amener le lecteur, qui lui ne peut se trouver que dans un point passé par rapport à lui (ou présent à la toute dernière phrase, mais c’est on ne peut plus bref : ce présent est infime). Il y a donc une impossible équivalence : se trouver au même moment, en même temps. On est dans le paradoxe d’un épisode de la Quatrième dimension. Nous sommes nous-mêmes dans une incompatibilité de temps : combien d’entre nous décomptent les jours confinés en jours réels et jours ressentis ? Cela fait tout juste une semaine que cette situation dure (un peu plus si comme moi on prend comme point de référence le samedi 14 et non le mardi 17) et pourtant on a le sentiment qu’elle a commencé il y a presque un mois. Officiellement nous sommes confinés pour quinze jours mais nous savons tous que la période s’étendra au-delà. On parle de 45 jours. Le ministre de l’éducation envisage une reprise des cours pour début mai. Édouard Philippe : quelques semaines. La province de Wuhan en Chine n’en a toujours pas terminé de sa quarantaine entamée il y a deux mois. Certaines études envisagent un confinement d’au moins cinq mois, ponctué de trois pics de mortalité. Etc. La question qui se pose, c’est aussi celle du lecteur, ou pour le dire autrement qui voit et qui est vu. À l’étranger, des applications dédiées aux malades du covid permettent de suivre la progression de leur état en temps réel (ou pour le dire autrement, de les surveiller). En France, les forces de police qui surveillent l’application du couvre-feu s’assoient sur le secret médical pour dévoiler, par exemple à la presse, l’état des personnes qu’ils peuvent arrêter, par exemple pour motiver leur action à leur égard. Que dit Robbe-Grillet de ça ? À un moment donné : Je découvrais là une conséquence paradoxale de la cécité : un aveugle ne peut plus rien faire en cachette ! Les malheureux qui ne voient pas craignent continuellement d’être vus. Dans cette métaphore, le personnage victime de cécité, c’est le lecteur lui-même : il ne sait pas ce que le texte sait, et le rapport d’observation est inversé. Ce n’est plus le lecteur qui regarde le livre mais le contraire. Dans notre présent éternel, éternellement dilaté, de confinés, on ne voit plus rien nous non plus alors même (du fait même) que l’information se déverse continuellement sur nous. On est ensevelis sous la profusion de chiffres, d’études, de courbes, d’hypothèses, de divinations, de peurs. Et on est lu par elles, plutôt que le contraire. ![]() 26 avril 2020Après la lecture, les idées sont revenues. Les idées donc découlent de la lecture, non le contraire. Ce sont, pour l’heure, des idées frêles. Notes même pas prises en. Des pensées miennes pendant que le présent se fait. Presque rien, quoi. Du moins, rien qui mérite d’être consigné ici. Mais que dire d’autre sinon l’infime ? C’est de l’ordre du fourmillement. Je marche peu. De quoi tout simplement avaler les distances d’intérieur. Du salon à la cuisine. De la cuisine à la salle de bain. De la salle de bain à la chambre. Puis retour au salon, devant l’écran d’ordinateur où je découvre que je confonds Henri Michel (mort il y a deux ans) et Michel Hidalgo (mort aujourd’hui). On pourrait se dire que limité à une telle surface de marche, on est incapable de faire des rencontres inattendues ; faux. Là, je tombe nez à nez avec Capitale de la douleur d’Éluard. Ce n’est pas à un livre qui m’appartient, et après que je le mentionne à H., il s’avère que ce n’est pas non plus un livre à lui. Le prix étant encore dessus, je ne crois pas qu’on puisse imaginer qu’on nous l’a offert. À qui est-il ? On ne saura pas. C’est un présent que nous a fait (Des torrents décousus / Et des vaisseaux de sable / Qui font tomber les feuilles) le jour sans qu’on le sache. Leopardi 12 : Convenir à sa fin — et par conséquent être utile, etc. : voilà en quoi consiste la beauté de toutes choses, et en dehors de quoi il n’est rien de beau. (13 juin 1821) ![]() 27 avril 20201) Le noir absolu It was said that he was hunting stillness and that instead of picks or shovels, guns or maps, he carried an empty box on his back, a box with a single eye, which ate time. Some said he carried plates of glass to serve the stillness on. He would eat wiath a black cloth over his head, licking his plate clean in the dark. 15) Plus loin encore : The camera was a collector not of light, but of time, and the time it cherished most was in the anticipation of death. ![]() 28 avril 2020L’eau des haricots rouges est rouge ; eux non. Ils sont devenus quoi, auburn ? Je perds le fil sur les couleurs. Tout ce qui n’est pas ou n’a pas été gris. Le fait est que le mot auburn est quelque part : dans Ulysse, précisément associé au gris. Coïncidence ? The Vorrh : the isolation was part of the treatment. Puis, à la fin du même paragraphe : where a cacophony of silence was counterpoised only by insistent drips of water. Plus loin encore : A quarter of the old will die during the coming weeks ; night chills, influenza, or phenomena being the divine intervention. Quatorze jours que nous sommes confinés. On est donc censé pouvoir souffler, quant à la possible contamination de nos chairs, la période d’incubation après nos derniers déplacements étant achevée. Souffle-t-on ? Je souffle mais c’est un soupir : un voisin commet des vibrations pendant des heures, des travaux quelque part. C’est suffisamment loin pour n’être pas pesant, mais suffisamment proche pour être perceptible (donc pesant). H. met en place les bases d’une partie de jeu de rôle en visio pour demain. Nous serons mousquetaires du roi. Je suis une femme âgée qui règle ses problèmes par la négociation et respecte la loi et les valeurs du royaume de France. Je me bats pour moi. On tire ensemble mes caractéristiques et compétences. Tu as le maximum en étiquette, dit-il, et tu sais chanter. ![]() 29 avril 2020Comme chaque année, il est l’heure qu’il était hier à la même heure (plus une). C’est assez transparent, cette fois. Je veux dire indolore. J’espère que ce changement viendra à bout des lueurs matinales dans mes yeux et dehors (non). Je me réveille avec l’inspiration de vouloir voir des films italiens en noir et blanc. Lesquels ? Comme à chaque fois qu’une personnalité meurt 16, des hommages contrastés : d’un côté, quelqu’un de bien, l’un des meilleurs. De l’autre : un tueur. Entre, un virus. Lequel ? Édouard Philippe : Les quinze premiers jours d’avril seront difficiles. Ce que j’ai lu trop vite : les quinze premiers jours d’avril seront effacés. Je me demande si les développeurs web sont pris la nuit ou la journée d’un brusque sentiment d’angoisse les conduisant à redouter, à tort ou à raison d’ailleurs, d’avoir oublié de fermer non pas le gaz, comme tout un chacun, mais une balise. Ça vient littéralement de m’arriver. Leopardi 17 : plus les organes d’un être vivant sont réceptifs, sensibles, mobiles, animés, bref, plus sa vitalité naturelle est développée, plus est vif et sensible l’amour de soi (qui ne fait pour ainsi dire qu’un avec la vie), et donc le désir de bonheur qui est impossible à atteindre, et donc le malheur. Dans la cour intérieure, une voisine est revenue suppose-t-on du supermarché avec un caddie entier, plein à rabord, je veux dire avec l’objet caddie lui-même, qu’elle peine à faire passer par dessus la petite marche vers la porte d’ailleurs. Alors elle enlève des objets du caddie jusqu’à ce qu’il soit assez léger pour, mais pendant qu’elle le fait, le caddie lourd encore de son poids et de ce qui lui reste prend la pente et commence sa lente course vers un parterre de fleurs, le tout dans son dos (faut-il l’en avertir ?). Elle le rattrape à temps, l’ayant vu, puis remet l’ensemble de ses courses à l’intérieur, pour ensuite pousser le caddie vers son bâtiment, à l’autre bout d’une côte assez sèche qui débouche vers le local à vélos. Famille nombreuse ? Courses d’une semaine complète ? Achats paniques ? Si l’on commet des panic buys, est-on un panic boy ? Il va falloir, derrière, ramener le caddie à Auchan (bien qu’avec ce qu’on paye de CICE chacun de notre côté, le tout pour que la famille Mulliez s’exile en Belgique, c’est un peu notre caddie). Dans cette même cour intérieure, des enfants se défoulent un moment. I believe I can fly, chante l’un d’eux (mais contre toute attente il ne le fait même pas). ![]() 1er mai 2020La préfecture de Seine-et-Marne appelle à mobiliser les réfugiers face aux problèmes de main d’œuvre rencontrés par les exploitants agricoles. Quignard, via Benoît Vincent : Une proie convoite une proie et la dispute à d’autres. Telle est la source de l’humanité : prédation imitée. De toute façon tout est faux : il est dit qu’aujourd’hui le soleil se lèvera à 7h30, et la lumière est déjà là sur moi quand j’ouvre les yeux, avant. J’ai froid. Mais ai-je froid de vivre dans un monde froid, ou de ne pas sortir de mon appartement et d’avoir l’impression, sans possibilité de confirmer ou d’infirmer cette impression, qu’à cause de la forclusion le monde l’est ? Je commence à douter de pas mal de choses en réalité : non pas de la fiabilité de notre gouvernement à gérer quoi que ce soit, mais plus prosaïquement peut-être le sarrasin, le beurre, le sodium... Le football n’existe plus. Le sport en général. Dans /// j’imaginais 18 la faillite du football professionnel sans trop pouvoir en deviner les causes. Peut-être ça vient de là. Manuela Draeger 19 :
Ces pommes de terre sont farineuses, fades et blanchies. Que faire d’une purée issue d’elles, qui leur ressemble donc ? J’aimerais jouer à quelque chose. La question n’est pas quoi ? (c’est pourtant celle qui m’est venue le plus spontanément) mais comment ? La dernière fois que j’ai joué à un truc, c’était il y a presque un an. Un an sans jouer à rien, c’est long, mais fort heureusement la vie est un jeu (non), écrire est un jeu (non), faire des sites web est un jeu (un peu plus déjà, mais non, non plus). Lire qui sait ? Regarder par la fenêtre voir passer des gens en rupture de confinement (voire en infraction avec l’article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire) ? Courir après Poulpir (qui court plus vite que moi) ? Faire de ma purée pas glop non pas des genres de pommes dauphines (je n’ai pas de maïzena ni de gomme de guar, que de la farine de riz et pas assez d’œufs pour la semaine) mais plutôt de pseudo galettes à moitié frites 20 dans l’huile d’olive. Esthétiquement parlant, c’est un fiasco total : non seulement les petites galettes formées se sont désagrégées vite, formant des genres de grumeaux, mais en plus les grumeaux ensemble, juxtaposés, se sont réaglomérés pendant la cuisson. Voilà qui est inattendu. On dirait donc une espèce de grosse pangée disloquée dans une poële. Ce n’est pas franchement bon non plus, mais enfin ça a le mérite de réhausser un peu l’ingrédient de base. The Vorrh 21 : As evening unfolds, we become mesmerised by the forest, which grows from the water and rises to the clouds, ploughing down into its depths in absolute sameness ; a perfect symetry, unwound in perfect perspective. Nothing changes for hours ; the dusk moves slower than our eyes, and we are pulled into the glimmering reflection without any sense of self. We are dissolved. ![]() 2 mai 2020La lumière, c’est de l’eau : une fois qu’elle a trouvé un point d’entrée en toi, elle se répand. Elle occupe le maximum d’espace ou de volume accessible. Disponible. Ouvert à elle. Elle t’investit, quoi. Alors, comment la faire sortir ? Gesticuler dans tous les sens ne sert à rien. S’énerver non plus. Nos gestes sont devenus caducs. Je passe mon temps à mettre mes t-shirts à l’envers mais bien sûr personne ne s’en rend compte. Nous avons beau vivre quelque chose d’extraordinaire, mis à part celles et ceux qui sont en première ligne (sic) pour soigner les malades, et les malades eux-mêmes, il ne se passe rien. On s’inquiète. On s’informe. On attend. Quoi ? On ne sait pas. On parle beaucoup de l’après, mais le temps s’est arrêté, l’après est donc réduit à une projection. Nous vivons un temps faux. On nous dirait que les jours disparaissent (avril a été effacé), qu’on ne s’en plaindrait pas. On ne s’en rendrait même pas compte. Alors on lit ce qu’on peut lire. Plus j’accède à des livres numériques gratuits offerts par des auteurs ou des éditeurs, plus j’en commande des payants. Je ne les lis pas encore, mais je projette les lire. Que lis-je à l’instant t ? Une étiquette d’huile d’olive. Origine : Union Européenne et hors de l’Union européenne. À leur place, j’aurais simplement dit ici et là. Et à cause de la circulation des sons ![]() 2 mai 2020Si les oreilles n’ont pas de paupières, les paupières, elles, sont poreuses. Alors que la plupart des gens autour de moi (comprendre donc partout dans le monde) pendant ce confinement cherche à faire comme s’ils pouvaient encore accéder via X stratagèmes au monde extérieur (en assistant à distance à des spectacles enregistrés de longue date, on regardant des webcams qui diffusent le monde d’hier, en se baladant sur Street View de façon débonnaire, en tâchant de bronzer sur leur balcon), moi, je cherche à m’enfermer plus encore, et ça commence par barricader les fenêtres de la chambre pour garder l’obscurité à l’intérieur. Comment faire ? Je crois que le mot que je cherche, c’est claquemurer. Mon père, à chaque fois qu’on partait en vacances quelque part quand j’étais enfant, passait un temps certain aux premières heures du séjour à obstruer autant que possible les fenêtres de la chambre pour retenir la noirceur ; c’était un sujet de sarcasme ; ça doit être un retour de karma que de moi l’eprouver aujourd’hui. C’est important de cultiver une part d’ombre ; plus important encore de ne pas la laisser fuir. Leaker. C’est comme ça. Avec quoi bricoler ça ? Bien sûr, pas question d’aller acheter des rideaux (où d’ailleurs ?). Il me faut quelque chose que j’ai déjà. Ou que je peux trouver facilement ? Me voilà donc en mode DIY mental. Comment faire pour aimanter sur du verre ? Où trouver des ventouses ? Quelle matière est suffisamment noire, matte et opaque ? Spontanément, je pense à de grands sacs poubelles. Il s’agirait ni plus ni moins que de traiter le soleil comme un déchet. H. me regarde l’air catastrophé. Est-ce que j’ai pensé ça à voix haute ? Il y a une solution plus basique, elle consiste à recourir à des serviettes de plage. De toute façon, là où nous sommes, nous ne les utiliserons pas. ![]() 3 mai 2020L’expérience des serviettes de plage n’est pas concluante. Je veux dire, elles bloquent bien les rayons directs, qui ne peuvent donc plus bombarder quoi que ce soit, mais la lumière ce n’est pas que de l’eau, c’est du sable : ça s’immisce. Il faudrait pouvoir dormir dans un placard ou dans un tiroir à la morgue. Ocean Vuong : Lest we forget, a morgue is also a community center. Ce qu’il me faut c’est un sarcophage clos, au cœur d’une chambre funéraire sans fenêtre, sans ouverture d’aucune sorte, sans accès donc, sans béance, sans interstice, sans cavité, elle-même cachée au fond d’une pyramide que le temps peu à peu nivelera, avant d’en advenir au stade de l’ensevelissement. Manuela Draeger dans Kree : Il faut se choisir un endroit où l’essentiel s’est déjà écroulé, afin de ne pas se retrouver enseveli pendant son sommeil. Est-ce trop demander dans ce monde ? Oui. Mais, de fait, on vit une époque compliquée (sic) : de toutes petites choses prennent soudain des proportions considérables. Après avoir toussé : ça fait combien de temps que j’ai croisé cette femme dans une allée de supermarché, toussant non dans son coude mais DANS SA MAIN ? Ou encore, eh merde, j’ai oublié de désinfecter mes clés. Ou bien, voyant qu’un cable montre des signes de faiblesse : est-ce que tu as un chargeur comme ça ? je n’en ai pas encore besoin, mais c’est pour ma tranquillité d’esprit. C’est toujours pour notre tranquillité d’esprit. Et on ferait mieux de faire un pas de côté de ces choses, de nous ensarcophager pour rester à l’écart de ce qui déferle. J’imagine que c’est un peu ce que je fais quand j’écoute Francesco Tristano jouer Strings of life au lieu de rien faire d’autre pendant 9’55. ![]() 4 mai 2020C’est probablement car nous ne disons pas au-revoir aux lapins pour quelque temps, nous ne prenons pas le RER B jusqu’à Roissy, nous ne montons pas dans un avion russe jusqu’à Moscou, puis un autre, russe toujours, jusqu’à Tokyo pour deux nouvelles semaines dans l’archipel que, durant la nuit, j’offre à K. un livre de Zyrànna Zatèli. Il ne lit pas le français. Aucune importance : elle écrit en grec. Que faire quand on ne peut pas, contrairement à ce qui était prévu dans un monde antérieur, s’éloigner le plus possible de soi, géographiquement et mentalement, et vivre pendant quelques jours dans l’illusion qu’on ne reviendra jamais ? Pour commencer, réaliser que je confonds Panzer Dragoon et Shining Force. L’autre jour, j’ai confondu la manœuvre de Heimlich avec la méthode de Himmler. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Qu’écrire quand on est confiné ? Qu’on l’est ? Ou écrire qu’on écrit ? Écrire qu’on n’écrit pas, plutôt, voilà ma ligne éditoriale. Écrire ce qu’on n’a pas vécu, ce qu’on ne fera pas. Et donc écrire ce journal du Japon 2 comme s’il avait réellement lieu ? Leopardi 23 : les organes intérieurs sont une chose et les organes extérieurs une autre ; je coupe ici car la suite me plait moins. La vie est souvent comme ça. On me raconte par téléphone le récit de ce couple de retraités qui (c’est une histoire d’avant le covid), après avoir essayé de faire intégrer l’un dans un programme d’euthanasie en Suisse ou en Belgique, sans succès, a décidé d’aller se suicider ensemble en se jetant dans le barrage. Je ne me rappelle plus qui ils sont, mais je n’ai rien oublié des pseudonymes qu’enfants nous avions utilisés quand il s’agissait de se faire engueuler par eux après quelques conneries près de leur domicile enneigé. Il était question de descendre le plus vite possible sans savoir s’arrêter. Aujourd’hui, cette maison doit être à vendre (ou vendue). Ils avaient un nom comique. Nous les pensions amères. ![]() 6 mai 2020C’est de plus en plus dur de démêler le rêve de la réalité. Le rêve : alors qu’il nous est interdit de quitter nos appartements respectifs, nous faisons du jeu de rôle papier avec nos amis sur écran interposé et un plat de lentilles permet de partager la visioconférence et le wifi à tous. La réalité : il y a un incendie dans la zone d’exclusion de Tchernobyl et la radioactivité est en hausse. Les vents ne soufflent pas, nous dit-on, en direction de la France (impression de déjà vu atmosphérique). Là, je passe un moment à chercher sur le web quelle entité utiliser en HTML pour une espace fine insécable. Spontanément, j’utilise ![]() 9 mai 2020Si bâiller fait pleurer (par contraction des sacs lacrymaux consécutive au mouvement des mâchoires), faut-il bâiller sans cesse si nos yeux se désèchent ? Et si les bâillements sont communicatifs, suffit-il de regarder des gens bâiller en vidéo pour bâiller soi-même ou bien faut-il être nécessairement en présence de quelqu’un qui le fait ? Comment être en présence quand on est confiné ? Être confiné ne veut pas dire absent. Juste : être présent là où le monde n’a pas lieu 24 (ou presque pas lieu). Quelle épaisseur pour ce presque alors. C’est ce que je fais, je crois, quand je me dis je jouerais bien à Grandia (mais que je n’y joue pas). Ou encore, quand je m’attache à terminer les finitions du nouveau site, dans un espace qui n’est même pas le site lui-même, ni même le site de test, ni même l’espace en local sur lequel j’ai travaillé ces derniers mois mais une autre antichambre encore, quelques feuillets virtuels sur une tablette, loin de tout. Je ne pourrais pas être plus absent au monde que ça. J’aimerais profiter de cette nouvelle (la troisième ? la quatrième ? je ne sais plus) version du site pour tenter de résoudre la question de l’épaisseur. Le numérique aplanit tout. Nous ne sommes pas dans un livre, nous ne pouvons pas feuilleter ni sonder la profondeur d’un volume (avec l’œil et/ou le doigt). Il faudrait donc en passer par des artifices. Par exemple : pouvoir ouvrir une page au hasard et la lire (prévoir un espace avec des articles en shuffle sur lesquels cliquer). Ou encore, pouvoir matérialiser la progression dans une rubrique qui fait sens (pas le journal mais une fiction mettons) : où on se situe par rapport au début et par rapport à la fin. Un simple système de cases vides (articles à venir) et pleines (articles passés) pourrait faire l’affaire. Ou encore saisir simplement en observant la page la longueur estimée des articles sur lesquels on pourrait cliquer. Cela pourrait prendre une forme très naïve : pour les articles du journal, chaque entrée correspondrait à une bande noire, sur une page index de la rubrique année par exemple, dont la finesse serait déterminée par le nombre de mots contenus dans l’article. Plus l’article est long, plus la bande est épaisse. Graphiquement, ce serait assez intéressant (on reviendrait à la métaphore du code-barre de la toute première version). Techniquement, s’il est possible d’estimer (avec marge d’erreur) le nombre de mots ou de signes dans un article, comment le mettre en corrélation avec une représentation graphique (si moins de tant de signes, telle hauteur de forme en pixels, si plus de tant telle autre, etc.) ? Ne pourrait-on pas inclure une boucle servant à afficher le nombre de signes ou de mots dans l’attribut ![]() 10 mai 2020C’est quoi le luxe : la liberté ? Ou l’insouciance ? Marre d’être souciant. Cieux. De tout. Pas que des miasmes. Quoi faire et quand par exemple. Quoi regarder. Voir, pas voir. Encre, non encre. Temps d’écran si oui quel. Combien. Depuis quand mon carnet papier c’est devenu un livre de compte des moments passés devant lui ? Il est ça. Je suis ça ? Quoi manger aussi. Aimerais manger mais mal. Bien mal 27. Des trucs industriels sans âme. Mauvais mais bons. Plein de fromage fondu. Trucs gras. Trucs. Bach, j’y ai droit. Ça se mange pas. Ou bien si ? J’écoute presque plus rien depuis que je suis con(f). Traditionnellement j’écoute des trucs quand je sors, marchant. Là pas. Ou quand je suis seul. Mais je suis plus jamais seul. Alors j’écoute ce qui tombe. Une fois deux fois par semaine. Capsule sur le web, les réseaux. C’tout. Là, c’un concert pour Pâques. C’une église en ruines fumantes. Les mecs sont en combisaison de cos- ![]() 11 mai 2020Rêvé de Cavani et du RER A. Deux choses qui n’ont plus aucun sens depuis des semaines. Les deux existent encore, et font probablement ce qu’ils sont censés faire de leur côté (garder sa forme physique, suivre un programme d’entraînement adapté, boire du maté ; transporter d’un point à un autre des voyageurs X ou Y qui sont forcés, eux, de se rendre sur leur lieu de travail, si lieu de travail il y a encore) sans plus aucune application dans ma vie. C’est à se demander ce que deviennent les stars du foot. Sans foot pour les nourrir, sont-ils encore des stars ? J’oublie quant à moi des choses non essentielles : que le mot nid ne s’écrit pas comme riz), comment s’appelle ce jeu qui consiste à deviner le nom de la personne ou du personnage qu’on a écrit pour toi sur ton front (ou sur un post-it). Cherchant ça dans Google je tape jeu deviner qui tuer pour qui tu es. Malaise. Voilà donc ce qui restera de moi. En plus, j’ai pas trouvé. Et je ne trouve pas non plus le nom de Sid Vicious (sauf que là oui). Je suis en vacances pour une semaine, ce qui est étrange puisque je ne quitterai pas cet appartement ; finir mon site, me dis-je. Sauf qu’à la première occasion je ne fais pas ça, je commence un roman de confinement que j’appellerai Œ bien moisi, je trouve. Je suis donc irrécupérable. ![]() 13 mai 2020Peut-être la meilleure chose à faire, lorsque nous aurons atteint la date de sortie du confinement (à supposer seulement qu’elle intervienne un jour), ce serait un refus de nous y plier. Ne pas sortir de chez nous. Rester forclos. Ne pas aller travailler le matin (quand on va encore travailler le matin). Ne pas produire, ne pas consommer. Ne pas faire ce qu’on estime qu’il est vital que nous fassions. Ne pas faire repartir l’économie, par exemple. Les politiciens de tout bord s’agiteront pour nous y forcer. Il suffira de ne plus : ne plus les regarder pour commencer. Passeront sur des écrans éteints, n’apparaitront plus en tendance sur les réseaux, n’auront plus la force de s’arracher à la gravité de leur soudaine et irrésistible invisibilisation. Bref, ça ne prendra plus. Bien sûr, ils feront ce qu’ils savent faire : ils feront le pari du pire. On nous ressortira les épouvantails habituels. Des nouveaux peut-être. Des phénomènes de foire. Des super-vilains. Il y aura des débats non contredits, des éditos, des tribunes. Somme toute, le (ras-le-bol du) comme d’hab. Que deviendront les ministres et les responsables X ou Y, élus ou pas élus, corrompus ou non, coupables ou pas ? Commenceront-ils enfin à douter de leur matérialité ? Se chercheront-ils un visage ou un corps dans un miroir ? Questionneront-ils leur ombre dans la rue ? Iront-ils au supermarché pour pouvoir se confronter à l’ouverture des portes automatiques (ou pas) ? Une preuve qu’ils existent, quoi. Après tout, ne sont-ils pas tombés malades pendant cette crise ? Passent leur temps à serrer des mains à tout va, aussi. Ils savent plus. Et personne autour d’eux pour infirmer ou confirmer quoi que ce soit. Peut-être qu’ils sont morts du covid, après tout. Peut-être que les limbes prennent pour eux la forme la plus cruelle qui soit : être présent sur un plateau télé, mais n’être interrogé à aucun moment. Chercher leur nom dans un sondage et jamais le trouver. Écouter leur interview à la radio et constater qu’ils ont été coupés au montage. Seraient-ils devenus des fantômes ? Les gens n’avaient pas le visage de leur prénom, il semblait absurde de vouloir l’affirmer, mais en même temps ils l’avaient, cela était vraiment curieux. Le pire (peut-être), c’est qu’on pouvait être convaincu ou pas du bien-fondé d’un prénom en se contentant d’adhérer aux arguments de tel ou tel interlocuteur, et si cela venait à se généraliser, ne serait-ce qu’au sein du petit groupe d’amis ou de collègues, c’était comme si les fantômes se manifestaient. Les ouvriers remplissaient les verres de vin à des fantômes qu’ils connaissaient parfaitement. (Pour ce qui est des vrais fantômes, ils avaient disparu depuis un bon moment ; ils disparaissaient tous les jours lorsque le parfum de la viande grillée s’intensifiait, comme si celui-ci leur était contre-indiqué. mais ils réapparaissaient ensuite, et plus actifs que jamais, à l’heure de la sieste, qui constituait leur acmé, du moins en été ; en hiver, c’était plutôt au crépuscule.) Bien sûr, il faudra nous tenir à notre mutisme. Ne pas leur révéler qu’ils sont encore en vie quelque part, mais plus dans les nôtres. Et attendre que d’eux-mêmes ils décident enfin de céder le terrain. Faire vibrer les fantômes en eux, comme on cherche à saturer (ou à ne pas saturer) le cache quand on fait des tests sur un site en développement. Il est temps d’en finir avec la nouvelle version de Fuir. Une semaine, c’est suffisant ? Pour l’heure, c’est oim VS le cache. Où qu’on soit, quand on n’est pas en local, peu importe combien on désactive des trucs, on décompresse des scripts, on vide manuellement des dossier temp, il y a toujours un moment où ça commence à coincer. Tu crois être confronté à ta page au présent, et elle t’affiche encore son fantôme d’il y a une minute ou deux, avant que tu aies inclus en son sein ce correctif, cette balise en plus ou en moins, ce point-virgule ressuscité. Or, ça pourrait tout changer ! Mais le temps est ce qu’il est. Gelé. Là, comme souvent, je passe des heures sur des trucs simplissimes que je devrais savoir faire (coder une boucle de zéro pour Spip, réaliser que si le javascript ne s’applique pas, c’est que le script a changé de répertoire, etc.) et j’arrive très naturellement à faire en une heure à peine un truc que je pensais infaisable à mon petit niveau. Enfin, découvrir un peu amèrement que ramener à la vie un plugin antédiluvien qui ne semble pas fonctionner en 3.2.7 (alors qu’en fait mais si) n’a pas réellement de sens, puisque cela, une balise CSS le fait nativement : |
↑ 2 Traduction Danielle Carlès.
↑ 3 Un genre de caricature de comics présidentielle, désormais.
↑ 5 Traduction Bertrand Schefer, Allia.
↑ 6 Ernst Jünger, Soixante-dix s’efface, Gallimard, traduction Henri Plard, P. 97.
↑ 7 Scène par ailleurs très différente chez Philip Glass, où seule la musique est au centre, sans aucune notion de décor, le tout dans un lieu a priori doté d’une certaine normalité ; mais enfin qu’entend-on par normalité ?
↑ 8 He was made of flesh, like the animals, and they were made of Bakelite, like the furniture. Brian Catling, The Vorrh
↑ 9 Ces mystères successifs m’ont fait penser à une sorte de course au trésor : on y progresse d’énigme en énigme, et l’on n’en découvre la solution qu’à la toute fin.
↑ 10 Volodine, Terminus radieux.
↑ 11 Plus tard : ce futur appartenait déjà au passé. Et plus tard encore, ce procédé est nommé : mémoire du futur. Quignard, de son côté, cité par Benoît Vincent, comme Volodine plus haut, dans les textes de lui que je relis présentement : L’origine du futur doit être située dans l’image onirique.
↑ 12 Allia, traduction Bernard Schefer.
↑ 13 Spoiler : à Paris, je ne l’ai pas trouvé.
↑ 14 Cité par Benoît Vincent dans Le Revenant.
↑ 15 Personnage qui par ailleurs suit une courbe très intéressante, quoi que semblant de prime abord complètement déconnecté de l’intrigue principale, le tout en un seul court chapitre qui ressemble à une nouvelle : néant existentiel > accident brutal > douleurs terribles > guérison > plénitude > célébrité > prolepse. Chapitre qui se termine ensuite par la meilleure phrase d’accroche qui soit : At the end of it all, he gaghered his new fame and his obsessively accumulated wages and travelled back to the city of lights and the crisp linen of San Francisco, to embark on the joys of marriage, parenthood, and murder.
↑ 16 En l’occurrence, un fantassin de la chiraquie] (sic).
↑ 17 Allia, traduction Bernard Schefer.
↑ 18 Ou alors c’est un futur qu’il convient plutôt d’employer là : j’imaginerai.
↑ 19 Dans Kree, L’Olivier.
↑ 20 Et non fritées...
↑ 21 Brian Catling.
↑ 22 Lequel écrit, un peu plus loin : La vie en effet est un univers englobé dans un autre. La vie commence où le virus agit. La vie est une hernie, littéralement.
↑ 23 Allia, traduction Bernard Schefer.
↑ 24 Je crois que j’ai lu cette phrase quelque part, mais où ?
↑ 25 Un plugin Balises arithmétiques le permet a priori, mais qui n’a pas été mis à jour au-delà de Spip 1.9.2. Autre chose, qui peut-être l’a remplacé d’ailleurs : la balise div.
↑ 26 Note du 9 mai 2020. En réalité, c’est plus simple que je ne l’imaginais : on inclut simplement une image en HTML (ici une bande noire basique qu’on détermine basiquement en largeur (img src="URL" width="400"
). Puis on ajoute dans le champ dévolu à la hauteur un peu de syntaxe Spip qui détermine d’abord le nombre de mots dans l’article (nous sommes dans une boucle articles) : #TEXTE|textebrut|strlen
(textebrut
permet d’exclure le code ou les images). Ensuite, on utilise la fonction div
pour diviser ce nombre de mots pour qu’on sorte de petites épaisseurs sur la page (ici, on divise par 150 : div{150}
). Ce qui nous donne :
<img src="http://www.fuirestunepulsion.net/IMG/codebarre.jpg" width="400" height="[(#TEXTE|textebrut|strlen|div{150})]">