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  • 310811

    31 août 2011

    Marais d'Y., 25 juin 2011

    Et l’ennui ? le temps me manque. Ils nous demandent, « ils » ceux qui virent nos salaires, d’être présents en chair, en os, sur le stand STAT qui se tiendra durant salon, semaine prochaine. Le salon est centré sur les humanoïdes de série « copycat » que notre boite fabrique, répare et distribue. Cette série d’automate qui nous ressemble le plus. Comment feront-ils, « ils » les visiteurs, la différence entre nous fixes et les modèles d’expos « presque vivants » ? Voudront-ils, eux futurs clients, repartir avec nos corps, ces corps les nôtres, jusque chez eux et, pire, STAT les autorisera-t-il ? Tant de lacune dans mes lectures me désespère. Mon texte peau(x) envoyé Dissonances pour prochain numéro n’en fera pas parti. Et bien merde, j’en écrirai bien plus. Une odyssée cosmique dite en vers justifiés.

    De chagrin, de colère et de pudeur sans fin, elle parle peu de son frère Hubert depuis l’annonce de la certitude de sa mort - ce corps qu’elle a soigné, langé, nourri, qu’elle a vu croître en beauté, capturé, poussé, humilié, battu, fouetté, détruit, affamé, moqué, injurié, piqué comme une bête malade -, mais quand elle ouvre les albums de photos et que nous voyons sur les clichés sépia cet enfant vêtu de feuilles et couronné de fleurs comme un petit Nijinski en faune, rire sur une balustrade, de la Gallée, à Millery, près de Lyon, la demeure de la famille de sa tante qui avec notre grand-oncle chirurgien à Saint-Etienne l’élève alors, la parole lui revient un peu comme de l’au-delà, de l’âge d’or. Il y est à l’âge que j’ai quand il me photographie écoutant l’Histoire Sainte, et il est déjà mort.

    Pierre Guyotat, Formation, Folio, p.64.

  • 110911

    11 septembre 2011

    Lost Highway, 23 juillet 2011

    J’ai fermé les infos, tous ces fous qui veulent revivre en temps réel telle journée X qui s’est passée il y a dix ans tout juste : pourquoi ne pas le faire chaque jour, chaque semaine ? Et je n’ai pas vraiment souvenir de mes mouvements ce jour là, je m’en souviens c’est sûr, comme tout le monde, mais ce que je revois avec bien plus de netteté c’est ce jour sans nom ni date, oublié depuis, quelques semaines plus tard, où un avion, un autre, s’est écrasé, New-York encore, quelque part dans le quartier du Queens. J’ai vu virer en direct l’image de la télé banale sur ces images, logos à l’appui, éditions spéciales en bandoulière, où les journalistes de toute chaîne prenaient l’antenne en catastrophe et le sourire aux lèvres, annonçant qu’il s’agissait peut-être d’un nouvel attentat. Et moi faire suivre la nouvelle : un autre avion s’est crashé à New-York, je l’avais vu le premier.

    Un tintement, d’outils, sur de la pierre : deux formes noires, l’une grande, l’autre petite, bougent autour de ce que le reste de Soleil fait briller en tas de fumier, en arrière du plan d’eau devant l’étable basse ; la mère et la jumelle du petit violé, en vêtements de deuil, fourchent du fumier.
    Le père sortira-t-il enfin de la ferme pour monter dans la bétaillère, la faire démarrer et rouler vers l’abattoir ?

    Pierre Guyotat, Arrière-fond, Gallimard, P. 185.

    Il faudrait que j’apprenne à reconnaître d’avance une journée sacrifiée. Avoir en tête tant à écrire, le matin dès neuf heures, et arriver dix-huit à n’avoir pas su dire ne serait-ce qu’une seule phrase. Au moins, sachant à l’avance que ces neuf heures accoucheraient vierges, je saurais faire autre chose, ne pas m’agiter pour du rien. J’écris bien quelques lignes, celles-ci plutôt que d’autres. Je n’ai même pas de titre, aime pas ne pas l’avoir. Mais un sous-titre oui. Vies //. Telles qu’elles les deux barres.

  • 160911

    16 septembre 2011

    Gare de C., entre deux bombes

    Les jours raccourcissent. J’en suis au stade de la fiction mentale : ces idées que je disperse, sur le papier dans ma tête, puisque jamais écrites ne sont jamais gâchées. Je me retiens de tout écrire, de commencer le sacrifice. Et tout est beau, tout est vrai, tout est brillant tant que rien n’est posé, encore moins dit. Mon odyssée cosmique, « vies // », n’a toujours pas de titre. Pour ces mêmes raisons ça me soulage, mais, fatalement, du coup, je ne peux pas le taguer dans ce journal. Je crains pour la traçabilité de l’ébauche dans le temps. T majuscule plutôt. 

    Les hurlements du voisin husky me manquent. Sans eux les cloches de l’église, toutes les heures ou même pire, sont privées de leur fonction : déclencher à distance les échos de sa gueule vers la lune attirée. La lune.

    Chaque matin je pourrais dresser portrait, photo ou mime des ces gueules là d’habitués du PMU, mêmes gueules, mêmes tasses, mêmes membres embarrassés et inutiles de tous cotés des côtes.

    Providence de Juan Francisco Ferré est disponible en numérique, je prends. Même trop cher oui je prends. Tant qu’à faire ne plus, ne pas, continuer à empiler les couvertures, souples ou pas souples, poche ou pas poche, au dessus de mon écran, mes yeux. Avant et après futur déménagement conditionnel (encore fictif). Je regrette que les éditions Absalon n’aient pas imité Passage du Nord Ouest pour le nouveau Werner Kofler. Je l’attendrai, peut-être, peut-être pas. Vivement venir le jour où Amazon lancera son offre d’abonnement illimité. Deux ans ou plus après les abonnements Publie il est bien temps.

    Que dire du court, du long, numérique ou papier. Lisant matin préface aux Villes invisibles de Calvino 1, je trouve sa méthode d’écriture par fragments si proche de celles, numériques, qui consistent à publier des strates de paroles, couche par dessus couche, et à classer les textes de manière transversale : je pense aux tags. Nous écrivons comme ça. La seule différence avec son époque, c’est qu’ici tout est écrit, plaqué puis lu en quasi simultanéité. Calvino dit lorsque la chemise est bien remplie penser au livre. Dans mon cas rassembler, trier, et envoyer Publie. A la lumière de ces mots relire l’article déjà lu hier, René Audet, initulé « Le long, le bref et le truchement numérique ». “ Je suis porté à penser que le numérique opère un déplacement,un peu comme le western spaghetti, présent en sous-texte dans mon titre, a conduit à un remodelage du genre western canonique. ” Et moi pourquoi m’en tiendrais-je au très bref ? J’ai des envies d’interminable. Et pourtant mon machin, sans titre, « vies // », est bien le même amas de couleurs brèves que je sais déjà faire. Oyssée ou pas. Cosmique ou pas.

  • Bollywood

    23 septembre 2011

    Quelqu’un (mais qui ? plus de mémoire, je retrouve pas, si vous savez dites-moi, en commentaire ou par mail ou ailleurs, que je rende justice à ce X et que je puisse le citer) a récemment parlé de la littérature numérique (passée ou à venir) comme une sorte d’équivalent des films bollywoodiens. J’attends, moi aussi, l’entrée dans l’ère Bollywood du texte (numérique ou pas, d’ailleurs). Et je reviens sur les esquisses de vies // gribouillées ces derniers jours. J’aurais un titre alors. « Bollywood, vies // », tiens aurait-ce de la gueule ?

    Ce truc est un truc dit en vers justifiés, organisé comme un livre dont vous êtes le héros, avec multiples embranchements possibles (a.k.a. liens) et des milliards de vies possibles (peut-être pas des milliards, mais certainement des vies), d’où le sous-titre, et quant au titre, ma foi, je trouverai bien quelques plausibles explications. Mais je raye les précédents fragments lâchés dessus l’écran « juste pour voir », non que ce soit mauvais, pour une fois non (je crois que non), mais parce que l’univers (cosmos, temporalité, environnement) n’est pas le bon. Et je me trompe d’époque, je me trompe d’arrière-fond. Pour une fois j’écouterai les remarques de H., première lecture à chaud. Ce que je vois : un futur mais si proche et de la rouille, assez. Des villes de l’est ou en Asie. Des noms mordus ou prononcés. Un premier vol spatial (mais habité) en direction d’ailleurs : un ailleurs habité ? Ce sont des idées en vrac. J’y pense quand j’y pense pas. Je prends notes (mentales mais habitées) au fur et à mesure.

    Pour organiser l’arborescence je laisse tomber le papier : incapable de m’offrir la surface dont je rêve : interminable. Je lui préfère le logiciel XMind qui me permet de voir plus loin. C’est un projet sans tête, oui, et un projet sans fin. XMind me permet d’en poser les limites, d’avoir sur l’écran mieux que du blanc : des pointillés. Voilà le négatif du texte, si beau non développé, si belle l’arborescence. Et moi j’en viens à croire (pire : à penser) que ce serait meilleur, meilleur encore, non développé, et pas écrit. Garder l’arborescence, ou même à peine : l’arborescence si peu marquée, imprimée blanc sur blanc, noir sur noir, gris sur gris, et laisser faire le cosmos. Serait-ce possible ? Haussement d’épaule(s). Si je l’écris c’est que le truc existe. D’ailleurs je tague. Le tag le prouve.

  • Esquisses

    25 septembre 2011

    Ciel d'Y., inversé, le 18 septembre dernier

    Je suis pas en panne d’écrire mais vies // a besoin d’esquisses pour que je comprenne comment ça vit. Pour ça je m’appuie très franchement sur cette très bonne adaptation radio de Berlin Alexanderplatz à écouter sur France Culture. Extrait ci-joint. Pour mieux fixer ailleurs mon esquisse, je fais de mon « tu » un salaud. C’est pas vraiment ce que je voudrais faire mais ça me donne une petite idée de la langue à produire (et comment la produire).

    *
    *
  • 021011

    2 octobre 2011

    Ma déception après lecture de Providence n’a rien à voir avec ma déception d’avoir lu Arrière-fond, et pourtant le même mot. Je m’attendais inconsciemment à retrouver un livre de la trempe de Mantra, même langue, même page, même éditeur papier (ou numérique). Il vaudrait mieux que je relise Mantra. Locked in Syndrome, dans le même genre, est bien meilleur. Qui aime cette impression en terminant un livre de l’avoir lu pour rien ? Un condensé de pop-culture, un trop plein d’adjectifs où le grand blanc du fameux film est une bite. Je perds mon temps. Dans Arrière-fond j’aurais tout aussi bien pu n’en lire qu’une phrase, une page, et y rester des heures, ne pas aller bouffer en une semaine à peine l’entiéreté du texte. Elle vient de là ma déception d’alors.

    L’actuelle saison de Dr Who se termine sur une autre question (la même), Paris part seul en tête du championnat de foot, et moi toujours incapable de suivre un match sans faire autre chose en même temps, je porte un T-Shirt sur lequel est tatoué, relief, des câbles électriques, j’écris des virgules, et les mots que je plante, justifiés sur l’écran, sont juste les moins bons qui puissent et je délaisse l’esquisse. J’en veux à ce double de moi, vieux de deux jours, coupable d’avoir encore une fois laissé filer le temps, de n’avoir jamais su retenir tout contre lui cet air du vendredi au soir quand le soir est amené à durer toute une vie. Je me dis que si onze heures venues je n’écris pas moi-même ma contribution au Journal, qui d’autre le fera ?

    Je survole la région est de Chongqing via Google Earth. Cette zone ici où l’eau du fleuve vire grise après le bleu du côté fourche, est-ce cela qu’on appelle le barrage des trois gorges ?

  • 171011

    17 octobre 2011

    Lui à gauche met le doigt sur mon signe astrologique. Je me lève à 3h43 du matin pour étrangler des cadavres mais ne reçois ce lundi aucun mail en provenance de Chongqing pour m’expliquer ce qu’il s’y est vécu en une semaine. Le vent m’arrache des écailles, quelques écailles de moi. Deux étrangères aux accents d’est me demandent leur chemin (et moi en deux mots, en trois mots, ces lieux je les leur jette : le Starbucks, la place Vendôme). La capuche du sweatshirt comme en fac hors la veste. De retour à la nuit, au soir, lâcher à H. et merde, Patrocle est mort. Des fois se dire qu’on est au fond rien que l’auteur de son propre journal, et comme je serais heureux si c’était vraiment le cas. En écoutant, par hasard, filer la chanson It’s no game, deuxième version, en entendre simultanément la première, et quelle idée géniale d’avoir foutu au même endroit les deux versions diamétralement mais diamétralement opposée, et se dire que c’est ce genre d’effet que j’aimerais retrouver, à mon niveau bien sûr, dans ce projet vies //, dont l’écriture hier encore de quelques fausses esquisses m’a enfoncé au fond du gouffre de la mésestime de soi et de l’insatisfaction grave, ouais, big time. En passant noter cette germe 2 de phrase, arrachée à Faulkner, pour ça que je suis venu, pour qu’on puisse, oh la salive, se marier.

    L’aube point : la lumière du jour, cet instant gris et solitaire pendant lequel les oiseaux s’essaient doucement au réveil. L’air qu’on respire est comme l’eau d’une source. Il respire profondément, lentement, se sentant lui-même, à chaque respiration, dilué dans la grisaille neutre, assimilé à cette quiétude, à cette solitude qui n’ont jamais connu la rage ni le désespoir. « C’est tout ce que je voulais, pense-t-il avec un étonnement tranquille et lent. C’est tout, depuis trente ans. Ce n’était pas demander beaucoup il me semble, en trente ans. »

    William Faulkner, Lumière d’août in Œuvres romanesques II, traduction M.-E. Coindreau revue par André Bleikasten, Bibliothèque de la Pléiade, P.246.

  • 191011

    19 octobre 2011

    Pour moi, rien n’entrera
    auparavant dans ma bouche, ni pain, ni vin. Mon compagnon est
    mort ; il est couché sous ma tente, percé de l’airain aigu, les pieds
    du côté de l’entrée, et mes autres compagnons pleurent autour de
    lui. Et je n’ai plus d’autre désir dans le cœur que le carnage, le
    sang et le gémissement des guerriers.

    Homère, L’iliade, traduction Charles-René-Marie Leconte de L’Isle

    Comme un pantin j’ai le fil épaule gauche qui se détache du nerf en bois. Un type sans bras fait la manche (mais sans bras). V. me file par email des annonces d’appart libre sur Paris, je lui réponds : je me suis lassé de vouloir vivre ailleurs (et l’idée m’a quitté). Je commence et je lis, je termine, La nuit je suis Buffy Summers de Chloé Delaume (et je meurs) pour voir un peu ce que ça donne un vrai livre dont vous êtes le héros mais écrit réellement. Je me dis que ce vies // est trop propre, qu’il faudrait le salir. Le ciel tombe. Le ciel se renverse. Je reçois des courriers de ma banque en papier. J’attends que ce matin se reprofile devant mes yeux avec sur lui un faux masque de jour et de lendemain neuf.

  • 221011

    22 octobre 2011

    10 septembre 2011, Jardin des plantes, Paris

    Ainsi finit Priam ; ce fut ainsi que, sous la volonté des destins, il sortit de la vie, les yeux remplis des flammes de Troie et des ruines de Pergame, lui dont naguère ses peuples et ses terres innombrables faisaient le superbe dominateur de l’Asie. Il gît sur le rivage, tronc énorme, la tête arrachée des épaules, cadavre sans nom.

    Virgile, L’énéide, traduction André Bellesort.

    C’est pas qu’il fasse si froid, dehors, c’est qu’il a fait si froid, hier, où je ne sais quand, qu’importe, et que nos murs sont secs et conservent entre leurs murs le gel, et que les chiffres bougent, et que les chiffres bougent. Je vais refaire marcher la pompe. Celle qui me tirera des yeux les mots les plus secs. Celle qui me tire du cœur un sang froid. Et ces fluides je les verserai dans ce vies // qui ne s’écrit, quand il s’écrit, après tout que par bribes. Et s’il devait y avoir, un jour, une couverture pour ce texte écrit blanc sur blanc, gris sur gris, noir sur noir, à l’heure où je vous parle, ce serait cette photo, tiens oui. En mai 2012 lâcherai en ligne un texte intitulé « Mon Martinez » qui en réalité aura été écrit en février (oui mais je brouille les pistes). Je ne me colle rien dans la gorge avant d’avoir lu, au préalable, les conditions générales d’utilisation et les effets secondaires possibles. Il fait assez chaud au soleil. Entre les distributeurs automatiques, qui ne distribuent pour l’heure que du papier (je cherche de l’oeil la liste des seconds effets possibles), je me laisse traverser par l’en haut, l’inaccessible en haut.

  • Esquisses #2

    14 novembre 2011

    Sauf que c’est faux, j’ai arrêté les esquisses car elles m’emmenaient à contre-courant de moi-même, enfin, de ma destination mentale, là-bas, ce point fixé par l’oeil et qui ne dévie pas. Pour m’immerger à fond dans ce truc, vies //, j’ai repris mon plan X Mind que j’ai rebaptisé "plan général", plus synthétique. J’ouvre en parallèle un autre plan pour chaque tronçon mais je bosse à l’envers : plutôt que de fixer d’abord mes idées sur le plan pour ensuite les écrire je les écris free style en premier et ensuite je remplis l’arborescence pour ne pas (trop) perdre le fil. Mais j’aime écrire de cette façon sans élastique ni baudrier. Je suis libre de tout. Vertige(s).

    Cet extrait pressé du jour et presque pas relu (pour archive).

  • Esquisses #3

    10 décembre 2011

    Je dois (il faut) suivre mes intuitions là-dessus car si ce truc n’est pas carrément réptilien rien ne saura vraiment l’être.

    Ce que j’ai en tête, à présent, plus comme une hypothèse de publication que comme une certitude, ce serait une mise en ligne progressive, et intégrale, de chaque tronçon du script, l’un après l’autre, avec possibles liens entre les uns et les autres au fur et à mesure. Je sais que c’est assez abscons pour l’instant cette histoire mais je pose surtout, ici, ces idées là, pour mes archives mentales, on peut donc ignorer.

  • 281211

    28 décembre 2011

    The Twilight Zone

    Je reprends, retour, encore le même numéro de train. Ma tête respire l’encens. E., Lyon, proche Terreaux, nous invite dans son appart, nous présente M. (rencontre). N. avant de mettre un pied dans le même TER que moi m’envoie texto par erreur : Petite poule en mousse tu t’appelles Henriette. Une fois rejoint dans le même wagon lui demande : est-ce que c’est tendancieux ? Est-ce que je peux le raconter à tout le monde via l’autoroute de l’information ? J’ai oublié ce qu’il a pu me répondre.

    Je quitte le train, retour Sainté avant l’autre, lendemain, dessus les vitres (toutes) zéro degré pas loin, avec dans les poignets l’envie d’aller y lire Dos Passos, Robbe-Grillet. N. me parle Balzac, un portrait, moi Gordon Lish, un autre.

    You might want to see her this way—nice eyes, nice hair, pretty face, those bones, good ones. The eyes are liquid, the hair chestnut, a barrette hiking a section of it up front into a flung-back pleated effect.

    I had my eye on those bones as she talked.

    Gordon Lish, Three in Collected Fictions, OR Books

    Parle-t-on autant de moi, en mon absence, que nous, en l’absence d’autres que nous, nous parlons d’eux ? Je m’étais jamais posé la question. Car quand je quitte la pièce la pièce on la dynamiterait. L’autre soir, chez F., tôt, après mon départ il lui ont lâché l’adresse d’ici, très bien, mais qu’ont-ils pu trouver à dire d’autre que ce qui avait déjà été dit, soit si peu ? Sur l’iPad, noir et blanc, le visage du marin, pris en stop par une conductrice hystérique et déjà morte, articule quelques mots puis s’enfuit. You don’t need a boyfriend, qu’il lui dit, you just need a good night sleep.

    N. s’amuse à croire que les extraits du Journal qui suivent l’une où l’autre de nos rencontres ou conversations seront forcément truffés de faussetés, ce qui est en soit complètement faux. On ne paye pas la course pour retour bus à la gare. On bouffe Quick. Je lui explique y a quelques mois j’avais mon nom dans les Inrocks. Un mec nous demande où prendre un bus fantôme. Il a dans les mains la même cage de transport que celle calée entre mes pieds pour contenir Soupir, avec, à l’intérieur, un autre genre de lapin. On le renseigne, il est moi il y a quelques années, et je sais à présent où il va fuir, ce qu’il va faire : il sortira attendre la carcasse de son bus, entre les doigts correspondances Truman Capote (« Paris plus froid qu’une chatte de nonne »), T-Shirt, juillet, lumière d’été sur des épaules d’hiver. Nous rentrons, N. et moi, respectivement chez nous autres par le même train, plus ou moins le même train, qui traverse, dans cet ordre, d’abord Givors Canal, et ensuite Givors Ville. 

    En attendant E. devant la statue d’Untel avec des chevaux, je dis à N., parlant de E., qu’elle tête tu crois déjà qu’elle a ? Mais c’est elle qui nous trouve. Je ne leur dirai pas, mais j’apprécie qu’on ne passe pas notre temps à ne surtout rien dire qui ne soit pas vacant. Parlant d’M. je lui dis celui-là je l’approuve. Je veux pas dire la tête mais trouve qu’il ressemble à mon H. Je leur répète, plusieurs fois, la phrase j’peux pas me contenter de ça, et ça me gonfle moins, du coup, de les accueillir tous, eux deux plus d’autres, un dimanche en janvier, venir dormir chez nous, avant leur départ tôt, lendemain, pour trois mois, assez loin, en Thaïlande. 

    D’après N. je marche vite et, dans les couloirs de métro, je ne vois plus les autres corps bouger, vivre. Je lui réponds tu les vois, toi, les couches de Cellophane qui emballent les steaks, pendant que s’enroulent entre eux les mécaniques Escalators ? Je lui dis de toute façon je ne regarde jamais qui que ce soit dans les yeux, mais toujours en orbite, très autour de la personne, pour ça peut-être que j’ai oublié F. E., ce qu’elle nous dit, c’est qu’elle a complètement occulté cette partie de notre vie, donc, commune. Moi moins.

    Ma voisine TGV regarde un film apparemment médiocre. Justin Timberlake court, conduit des caisses, embrasse une fille, regarde plein axe face caméra. J’ouvre ma paume, commence Heart of Darkness et me souviens d’un jour, plus ou moins proche, où je voulais écrire un truc dans lequel X bonhomme conduirait, à la corde, des esclaves. J’envisage de l’inclure, à terme, dans vies //. Je le couplerai, comme j’ai toujours voulu le faire, à la trajectoire d’un homme, seul, en course vers le soleil, ou quelque endroit très très ailleurs et loin d’ici nos pauvres âmes de soixante-deux kilos (carcasse incluse).

    “A slight clinking behind me made me turn my head. Six black men
    advanced in a file, toiling up the path. They walked erect and
    slow, balancing small baskets full of earth on their heads, and the
    clink kept time with their footsteps. Black rags were wound round
    their loins, and the short ends behind waggled to and fro like
    tails. I could see every rib, the joints of their limbs were like
    knots in a rope ; each had an iron collar on his neck, and all were
    connected together with a chain whose bights swung between them,
    rhythmically clinking. Another report from the cliff made me think
    suddenly of that ship of war I had seen firing into a continent. It
    was the same kind of ominous voice ; but these men could by no
    stretch of imagination be called enemies. They were called
    criminals, and the outraged law, like the bursting shells, had come
    to them, an insoluble mystery from the sea. All their meagre
    breasts panted together, the violently dilated nostrils quivered,
    the eyes stared stonily uphill. They passed me within six inches,
    without a glance, with that complete, deathlike indifference of
    unhappy savages.

    Joseph Conrad, Heart of darkness

    VF

    Un léger tintement derrière moi me fit tourner la tête. Six nègres à la file gravissaient péniblement le sentier. Ils marchaient, raides et lents, balançant de petites corbeilles de terre sur la tête, et le tintement marquait la mesure de leurs pas. Des haillons noirs étaient noués autour de leurs reins et les bouts leur pendillaient derrière le dos comme des queues. On distinguait chacune de leurs côtes, les articulations de leurs membres étaient pareilles à des nœuds dans un câble ; chacun avait un collier de fer autour du cou et ils étaient tous attachés par une chaîne dont les maillons se balançaient avec un tintement rythmé. Une nouvelle détonation qui s’éleva de la falaise me fit ressouvenir de ce navire de guerre que j’avais aperçu, canonnant un continent. C’était la même voix sinistre, mais ces hommes-ci, par quel effort d’imagination, voir en eux des ennemis ? Aussi bien ils n’étaient appelés que criminels et la loi outragée, pareille aux obus explosifs, s’était abattue sur eux, insoluble mystère surgi de la mer… Les maigres poitrines haletaient toutes ensemble : les narines, violemment dilatées, frémissaient, leurs regards étaient tendus en l’air fixement. Ils passèrent à moins d’un pas de moi, sans un coup d’œil, avec cette totale, cette mortelle indifférence du sauvage malheureux.

    Joseph Conrad, Cœur des ténèbres, traduction André Ruyters

  • 010112

    1er janvier 2012

    Je commence l’année plus ou moins comme la précédente. Je fous au four une pizza, surgelée, taille individuelle, mais pour deux, car trop mangé la veille, ce matin dormi tard, et sors dans son assiette bloc de foie gras médiocre offert comme prime par le taf avant Noël. Je termine sans trop voir le prochain vase communicant prévu chez Candice Nguyen, j’aurais pas cru arriver là, d’ailleurs saurais-je où j’en suis ? Je fais du vide dans mes douze disques durs. Je m’achète, en ligne et pour 224€, deux pairs de pompes et déconnecte. Je sais plus trop quoi lire. Et me rends compte, mais un peu tard, que les vers justifiés de Lucien Suel ne sont pas justifiés arbitrairement par la machine mais contiennent bien pour chaque ligne le même nombre de signes. Je devrais donc reprendre tout ce qui (mais si peu) a déjà été gribouillé pour préparer vies // et, curieusement, cette perspective, laborieuse, me remplit de quelque chose comme de la joie.

    C’est arrivé. Cela durera-t-il ? -
    Mon esprit est un rocher,
    Je n’ai plus de doigts pour rien saisir, plus de langue
    Et mon dieu est ce poumon d’acier
     
    Qui m’aime et le vide et fait le plein
     
    Sylvia Plath, Paralytique in Œuvres, Quarto Gallimard, traduit par Valérie Rouzeau, P. 349

    VO

    It happens. Will it go on ? ----
    My mind a rock,
    No fingers to grip, no tongue,
    My god the iron lung
     
    That loves me, pumps
  • 020112

    2 janvier 2012

    Ouais j’ai envie de me tirer une balle par la fenêtre. Après ma sieste la plupart de mes compagnons de cellule, non, rame ou wagon, partage entre leurs yeux, les miens, les nôtres, la même sale paire de songes, à savoir mais qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai fait putain pour me retrouver ici ce jour et à cet endroit même ? Et : est-ce qu’on ne pourrait pas trouver autre chose à faire de nos vies, autre que d’être ensemble et mort, de retour vers le taf, une année de plus encore, la même que celle d’avant et celle précédent celle qu’on vient à peine de taire ?

    Je ne sais plus lequel de mes amis m’a dit, pendant nos études, qu’il aimait par-dessus tout les êtres qui relativisent la notion de caractère. Il s’est passé du temps avant que le même sentiment ne l’emporte chez moi.

    On a eu cette conversation chez E.  : trahir ses rêves d’avant. Mais le fait est que mon rêve de mes seize je le vis. Je voulais vivre ailleurs et j’y suis. Avant tout avec H. Ecrire en toute priorité, ne pas en vivre. Lire et même plus qu’il n’en faut. Checker matin si le husky d’en face est là et si oui s’il hurle. Et oui.

    Et depuis, avec une inventivité qui me ravit, chaque rencontre décisive a trouvé sa manière propre de l’affermir. Tous ceux qui m’infligent le spectacle de leur caractère, qui s’y ébrouent ou s’y cramponnent avec un mélange de fatalisme et de revendication, m’accablent très vite et me donnent envie d’aller respirer à l’écart.

    Hier avons vu Smoking, d’Alain Resnais, théâtre sur pellicule, où l’intrigue s’inverse à coups de contingences et de « ou alors il dit : », s’en suit alors une autre réplique qui vient en remplacer une autre, déjà vue, et qui accouche d’une autre intrigue, etc. Soit le principe, en fait, de mon vies //.

    Grâces soient rendues aux relations qui savent esquiver le pénible travail de supputation psychologique et le marchandage de susceptibilités que le caractère traîne incurablement avec lui.

    Je badge et me jure que si un seul d’entre eux me joue clairon du bonne année je fais demi-tour et file ma dem à un fantôme de chef. On me dit bonne année, plein de bonnes choses, et merde, mais j’ai pas les c. Bientôt on me colle, on me dit bonne année puis plein de bonnes choses et tiens voilà la bise. Sur mon bureau on a posé deux magazines dont les unes titrent : La fin d’un monde (sous-titre Le salaire des cadres) et L’Europe Allemande. Au tel, par mail, en pouces, on nous dit bonne année, plein de bonnes choses. Chacun des commerciaux de la boite, éparpillés mais là, envoie à tous contacts une carte de vœux animée d’au moins 18Mo le mail. Les cartes disent bonne année plein de bonnes choses et sous leurs mots la neige.

    Marguerite Duras disait d’une de ses amies actrices : « Quand on est en face d’elle, on va droit à ce qu’elle a d’essentiel. » Exactement ce à quoi j’aspire : qu’une ligne se tende entre l’autre et moi, qu’elle nous dispense de nos petites monnaies respectives.

    Et si on était Smoking ? Après un panneau peint et interlude au piano on nous dirait « ou alors il dit : » et je dirais autre chose, mais si longtemps avant, assez pour tout faire dérailler en quelques sons à peine. Quand je reprends, passé proche, mes derniers bons souvenirs, j’attrape la semaine en Normandie, printemps dernier, où une tique m’a bouffé trois kilos. Le cheval indécis nous mate par la fenêtre dans notre hutte en verre. J’avale boudins aux pommes, Honfleur. Les lapins, toujours deux, bouffent jaunes les pissenlits par la tête. Je termine Infinite Jest et le soir, deux, Doctor Who. Je veux y retourner, pigé ? Mais pas y retourner physiquement. Retourner, dans le temps, X mois plus tôt et glisser mes mêmes pas dans chacun des vieux miens. Je dirais les mêmes mots. Ou alors je dirais (à mon oreille dirais) : gaffe à M. Lapin car il est presque mort.

    Une ligne de monde, si l’on veut – un fil à rendre l’espace admiratif, sur lequel chacun s’avance délesté de sa part oubliable. Qui donc parlait un jour, si justement, de « relations imperceptibles avec des gens imperceptibles » ? Il y a des méandres et des épaisseurs, parés de toutes les sophistications, où je n’ai plus envie de me perdre.

    Je paye, pour un euro, avec un billet de cinquante à blanchir. Je m’excuse, j’dis voilà. Le type me rend la monnaie, m’assaisonne bonne année, plein de bonnes choses.

    Ceux à qui je tiens aujourd’hui – ceux qui campent dans mon premier cercle et n’en bougeront plus – m’offrent un éventail des modes de conjuration ou de dissuasion du caractère : tantôt un souffle natif les a allégés, tantôt un rythme les a enveloppés, tantôt encore une limpidité sans égale les a préservés des morsures vulgaires de l’idiosyncrasie. Quoi qu’il en soit, c’est dans un bel et singulier anonymat qu’ils s’imposent à moi et que je tiens à eux.

    Je prends sur mon temps P pour traîner le long des vitres de luxe, trouver costume qui fasse pour le repas de fin d’année bis de la boîte, prévu fin du mois-ci, et je me vois faire dans la doublure du verre ; comment, putain, j’ai pu en arriver là ?

    Et c’est ainsi, uniquement ainsi, que je peux sentir résonner leurs traits personnels : emportés, subtilisés par une histoire qui les traverse et les dépasse – trouvant sens et vigueur au regard de cette échappée imprenable, de cette transcendance narrative où palpite la seule vérité d’un individu.

    Pierre Mari, Point vif, Publie.net

    Ou alors je dis : bonne année, plein de bonnes choses et tiens : c’est ce que j’écris, texto, à N., avant d’ouvrir, fermer, lâcher n’importe quelle porte de n’importe quelle façade fugace du jour dont j’essaye de m’extraire (mais j’échoue, car en fait j’essaye pas ou alors on dirait que j’aurais dit j’essaye).

  • 240112

    24 janvier 2012

    Peinture empruntée à Philippine

    Le silence de cet espace fini qu’est le jardin m’apaise. Le ciel peut attendre. Ce que je vois de ma table, avec le store bleu baissé et les feuillages, c’est disons 80 mètres cubes d’air, donc pas assez pour donner le vertige et angoisser. Je n’en dirais pas autant pour le volume d’une tête, pourtant bien moins vaste.

    Antoine Emaz, Cuisine, Publie.net

    Termine Cuisine. Me demande bien, comme toujours durant lecture d’un journal, d’un carnet de notes, comment / combien / pourquoi la langue lue m’investit et bouleverse mon écriture au quotidien, mon propre Journal, mes propres notes. Suspens.

    Je passe au taf bien plus de temps à côté de moi qu’à l’intérieur. D’abord suivre et en temps réel les différentes publications I-voix qui gravitent autour du Livre des peurs primaires, et notamment cette peinture, que je me permets d’emprunter, et qui me dit « Vous ne ressemblez peut-être pas à ça Mr.Vissac, à vrai dire, je ne vous ai jamais vu. » Vrai. Mais moi, je me suis déjà vu quelque part ? Ce M. Vissac, qui est-il et à qui ou à quoi il renvoie ? Peut-être serais-je effectivement ce double, sauf que personne, autour ou bien à l’intérieur de moi, ne se serait encore donné la peine de me le signaler. D’autres temps parallèles recoupent Cuisine : réécrire intégralement le peu déjà écrit pour vies //, cette fois en vrais vers justifiés, chaque ligne le même nombre de caractères fixes (ici 18), avec police appropriée. Ma peur primaire serait : tomber à deux pieds joints dans l’inintelligible. Et je navigue à vue. Me sers des chiffres, de la ponctuation comme d’une variable d’ajustement.

    Aucune bombe prête
    à souffler nos os,
    nos peaux, bouches
    & idées superflues
    (ou bien pire). Tu
    le sais bien : pas
    un terroriste pour
    souffler contre ce
    pont. Zéro Rimbaud
    pour foutre feu au
    viaduc. Lokrum est
    une île pauvre. On
    n’y fait rien sauf
    y vivre. Y vivre &
    bien sûr y crever.

  • 250112

    25 janvier 2012

    Hier ou aujourd'hui, quelque part

    David Foster Wallace est mort en 2008. Fin 2010, je l’attrapais par La fille aux cheveux étranges (d’abord) et La fonction du balais (ensuite), tous deux publiés en France Au Diable Vauvert. Je ne sais plus à propos duquel Charles Recoursé, traducteur et (alors) éditeur au Diable, m’a dit : « ce livre te fera grandir » : La fonction du balais ou Infinite Jest, à ce jour non traduit en français, et lu dans la foulée quelques mois plus tard, un pied ici, un pied ailleurs. Peu importe. Mais c’est durant lecture de The Pale King, posthume, que j’ai l’impression (l’impression) de fictivement grandir. Peut-être car parallèle à ma tête existe un texte, vies //, où absolument tout, résolument tout est possible (et qui s’écrit, des fois, sans moi) ? Peu importe, je grandis. Comme je répète souvent : je planifie mes lectures. Ce qui signifie que je sais combien, chaque jour, je lirai ou lirais. Je sais aussi quand ce tel texte je le terminerai. The Pale King était prévu pour fin de cette semaine. Je touche au but ce jour, enfin hier, surpris, ayant bien sûr négligé dans mes calculs la somme (importante) de notes empilées à la fin du récit (chose qui ne me serait pas arrivée, soit dit en passant, avec un livre papier). Je l’ai dit, The Pale King est posthume : il s’adresse à nous depuis l’ailleurs la mort. Une fois parvenu au bout de la trame, disons, narrative, je débouche sur les notes et, triste, me finis sur des miettes : les ébauches de personnage, les questions posées durant l’écriture à voix haute, les notes de bas de page 3. Cette lecture, imprévue, dans le désordre forcément, ne bouleverse pas mon parcours dans le texte mais déplace légèrement quelques points cardinaux. Par exemple, les derniers mots du texte (non pas les derniers mots du récit, mais les derniers mots de la dernière note de bas de page 4), entre aujourd’hui et hier, ont changé. « And so are you » hier, aujourd’hui : « in the red light of the walls’ fake flames ». Et, sachant que je n’ai pas lu durant traversée linéaire du texte mais ensuite, une fois récit éteint, la note signalée pour le paragraphe 24, la phrase « Numbers have downside of incredible headache » se trouve-t-elle aujourd’hui positionnée au même endroit qu’hier ? Ça n’a absolument aucune importance. Pourtant, comme en son temps Marelle, de Cortázar (lire dans l’ordre des pages ou dans l’ordre de la marelle ou les deux ?), juste pour être sûr 5, un jour, je relirai 6.

  • 270112

    27 janvier 2012

    Pixels la lune

    Mais la pluie, où nous mènerait-elle, si nous devions la suivre, à quel terme ? Quel terme s’amenuise au bout de la syllabe tombant compacte sur la terre, sur la mer ? Termes de terre, de mer, d’une même compacité que la pluie - mais l’ardillon qui les perfore, les perce : la pluie, par l’aigu vocalique - la pluie. Et taille dans le gras de la pierre, de la vague, burine la mousse, l’écume, dénude, révèle des corps possible, de calcaire, d’eau, jusqu’à ce qu’ils glissent en odeur de mort. Jusqu’à l’os, qui est os en français, bouche en latin. Menant, par la terre et par la mer, à l’os, à la bouche, au corps abstrait, tiré de sa gangue. A l’absolu de la trace, quand rien d’autre n’en subsiste. Au mot court, compact - emportée la chair en ses rigoles, comme le temps raidit la langue, érodant ses contours.

    Lionel-Edouard Martin, Brueghel en mes domaines 7, Le Vampire Actif, P.143

    Regret de l’avoir lu sur deux seuls jours. Dans la foulée des semelles, accroché aux couloirs et aux tapis roulants, un reste de Starfuckers encore plaqué au lobe, et le sang soufflé vif. Regret d’avoir claqué deux jours, aurait fallu des mois. Regret de n’avoir pas pu le lire depuis un autre siège, autre ciel, autre lieu ; et autre corps et crâne. Une fois lecture bouclée poser le livre sur la pile des ceux qu’on aimerait bien relire. La liste est mentale : ceux-là qui m’ont foutu une rouste et face auxquels je n’ai pas été, moi lecteur, à la hauteur du jeu. Il y a Arnaud Maïsetti, Daniel Sada, Julián Ríos, et j’en oublie.

    Termine de tordre la semaine comme on tord un t-shirt (celui, blanc, motif appareil photo). Ravi de n’avoir rien prévu d’autre, pour ce week-end, que me consacrer corps et carne à mes vers. Et puis, peut-être, si j’ai le temps, continuer réécriture de Jesus is waiting, débutée début mois et poursuivie dimanche.

  • 300112

    30 janvier 2012

    Lost Highway
    ils ont foutu du sel auprès des quais
    cette saloperie d’asphalte
    des Corn-Flakes
     
    au taf on me quémande
    gratos
    des nerfs et des tibias
     
    le soir je fais de même avec la voix mal délocalisée du service com d’SFR monde
    elle
    bute sur le mot récapitulatif
    me dit tard c’est vingt heures
    moi
    perdre patience sous l’ascenseur de leur
    musique d’attente
     
    chacun cherche l’apocalypse où il
    elle
    presque peut

    Un adolescent et une jeune fille parlaient dans la pénombre ; de la pièce orangée venait la mélodie d’un piano.] Tout mon cœur se rapetissa d’envie et d’affliction.] Je réfléchis.] Je réfléchis que jamais je ne serais comme eux...] Tout mon cœur se rapetissa d’envie et d’affliction.

    Je découvre Roberto Arlt : quelle claque ! Les éditions Cent-Pages savent vraiment faire des livres dingues. Charcoal la couverture et charbonnée la tranche des pages.

    Parfois, dans la nuit, je pensais à la beauté avec laquelle les poètes ont fait frissonner le monde, et tout mon cœur s’inondait de chagrin comme une bouche emplie par un cri.] Je pensais aux fêtes auxquelles ils avaient assisté, aux fêtes de la ville, aux fêtes dans des bosquets, avec des torches de soleil dans des jardins fleuris, et ma pauvreté me tombait des mains.]

    Tout en lisant je file vies //. Peut-être changer de titre ; vies /// ou π ///. Mais comment prononcer ? On le prononcerait pas. Ce week-end tiré bilan comptable : écrit 2874 mots pour faire bouffer cette hydre. J’avais en tête X mille choses à dire, ici, pour commenter ce qui s’écrit là-bas. J’ai oublié. Enfin tant mieux.

    Je n’ai plus, je ne trouve plus de mots avec lesquels demander miséricorde.] Mon âme est vagabonde et laide comme un genou nu.] Je cherche un poème que je ne trouve pas, le poème d’un corps que le désespoir a subitement inondé dans sa chair, aux mille bouches grandioses, aux deux mille lèvres criantes.] A mes oreilles parviennent des voix distantes, de pyrotechniques splendeurs, mais je suis seul ici, rivé par neuf boulons à ma terre de misère.⁂

    Roberto Arlt, Le Jouet Enragé, traduit par Isabelle & Antoine Berman, Editions Cent Pages, P.73

  • XAA2

    4 février 2012

    La partie XAA2 a été écrite, initialement, le 14 novembre 2011. J’en ai repris, aujourd’hui 4 février, la substance, pour conversion en « vrais vers justifiés ». Plus qu’une conversion, une vraie réécriture. Ici, c’est 45 caractères par ligne, espace compris. Les répliques et dialogues sont mis en italique pour plus de clarté. Le signe & remplace le mot « et » sauf après un signe de ponctuation. Les chiffres sont écrits en chiffres, sauf le mot « un ». Voilà pour les règles de vie (//) que je me suis fixées. Je publie ces deux paragraphes, là encore, pour archive, et aussi pour comparaison.

    L’écho des bottes a changé de maître & là les
    Rimbaud volent. Volent. Ce sont leurs humérus
    qui fendent en gémissant le goût des couloirs
    & leurs tubérosités qui cognent dur l’en bas.
    Leurs phalanges qui s’agrippent à leurs moult
    semelles. Pétrole. Et les tiennes. Car ils te
    tuent la main & t’emportent. Plus vite pismo.
    Toi aussi l’humérus, toi aussi les phalanges.

    À la nuque l’essaim s’engouffre, pismo. Plein
    de flics se piétinent. Où sont les brûleurs ?
    On les entend irrespirer. Rail. Tu fais taire
    les secousses de ton crâne. Dans le mouvement
    tu cherches l’équilibre. Elle, borgne, enlève
    tes poignets liés (la métaphore). A remis sur
    son oeil le tatouage fin papier qui porte nom
    Rimbaud. Brzo pismo ! Tu coures, tel un poids
    mort derrière ses poings. Plus vite !, gueule
    le papier. Un autre môme allume la mèche d’un
    Molotov prêt à jaillir & souffle la bouteille
    en verre noir au contact du plâtre. Palpitent
    nos ombres, jaunes, sur leurs murs charbonnés
    & ocres au relief des compteurs électriques &
    des bornes. Les marches plongent. Lourdes les
    odeurs (stagnantes). Tu piétines de l’humain,
    bientôt les flaques ricane(ro)nt. Tes plantes
    se gorgent. Rimbaud ou un autre renverse avec
    l’épaule, le genou, une porte lourde en métal
    noir. La porte tient dans ses gonds rouillés,
    tu respires, reprends ton coffre (les gorges)
    & tu te chopes les chairs, vois que ton corps
    a bien suivi, tous tes os là résonnent & l’os
    sésamoïde cisèle, la porte s’ouvre, on te dit
    go, tu entres & des Rimbaud ferment la marche
    avant le seuil, lâchent une bouteille, le sas
    brûle & tectoniquent les flics, leurs ombres.

  • 150212

    15 février 2012

    Kirchhorst, 2 novembre 1944

    Depuis des temps extrêmement anciens, il faut qu’un tabou effroyable ait interdit aux Indo-Européens la consommation de la chair humaine ; nos contes y font allusion. Peut-être faut-il aussi ramener la malédiction des Tantalides à un festin de ce genre. On peut mesurer la force de cet interdit au fait que même cette guerre, qui remue les bas-fonds, ne l’a presque pas ébranlé, trait digne d’être noté, pour qui connaît les esprits qui la mènent. Au fond, toute économie rationaliste, comme tout racisme conséquent, devrait mener au cannibalisme.
    Du reste, les Anglo-Saxons ont étudié mieux que quiconque la théorie de ce phénomène ; Swift entre autres. Dans le Brave New World d’Huxley, on récupère le phosphore des cadavres pour le remettre dans le cycle de l’économie nationale.

    Ernst Jünger, Second journal parisien, Livre de poche, traduction Henri Plard, P.345-346

    Reçu l’autre jour les deux chefs d’œuvre, soit-disant, de Roberto Arlt : Les lance-flammes et Les sept fous, aux éditions Belfond. Misère de recevoir ces deux bouquins, papier, trop cher, et des objets passés, papier lourd, épais, police large, écrit gras, pour un oeil troisième âge, surtout après la super smooth édition Cent pages du Jouet enragé. Je les lirai quand même, bien sûr, mais quel dommage de ne pouvoir pas bénéficier de versions numériques pour ces deux textes. Et puis aller taffer avec, les broyer dans des sacs, dans des crânes, contre des sièges et des vertèbres grises.

    Kirchhorst, 18 octobre 1944

    L’emploi soutenu du plus-que-parfait rend le texte un peu raide ; on devrait alors, au détriment de l’exactitude grammaticale, se contenter de l’imparfait avec, de temps à autre, une reprise du plus-que-parfait. Ce qui maintient le lecteur dans la dimension temporelle. Le style peut s’accommoder de négligences, mais non de fautes.

    P. 339

    A l’origine, vies // devait être écrit intégralement au futur. Car la voix qui raconte est celle, omnisciente, d’une station de voyance automatisée. Mais c’était pas tenable, au long cours, alors privilégié naturellement le présent avec quelques touches de futur censés servir de marqueur pour les autres verbes derrière, devant. Façon, aussi, de me servir d’une autre variable d’ajustement pour tasser les fameux vers justifiés. Curieux de retrouver, par hasard, cette réflexion, presque soixante-dix ans en amont, dans la tête de Jünger.

    Quant au titre je ne sais pas. Claro nous apprend qu’un Vies parallèles (Péter Nádas) va paraître chez Plon début mars. Fin 2011, quelques semaines avant propulsion des tweets battant pavillon Accident de personne Eric Pessan publiait son Incident de personne chez Albin Michel. Aimais bienl’idée d’un vies ///. Ou autre chose trois barres. Mais quoi ?

  • 190212

    19 février 2012

    plus loin que les mots le corps les choses
    plus loin quoi
     
    Antoine Emaz, Boue, Deyrolle Editeur, P.51

    Hier, reçu, chez moi, photo tirée à Dubrovnik, corporate moi, ombre de moi. Je pourrais, dans cet oeil ou un autre, littéralement boire à travers.

    Ouvre, matin, dossier nommé « Orphelinades », sous-dossier du plus gros vies //. Prévu pour héberger tous les extraits, fragments et trucs que je peine encore à mentalement localiser dans l’arborescence. L’inaugure avec un fragment «  ?? », issu de Nine Inch Nails. Un Rimbaud (terroriste Rimbaud) passe les portiques de sécurité d’un aéroport. Trouille que les scans arrivent à voir jusqu’à ses pulsions de mort il se force à penser de ces pensées fictives. Y ajoute figure libre mâchée hier et qui m’a fait prendre conscience, vrai ou faux, encore, que je n’ai rien vécu. Cette idée, combien de fictifs me l’ont déjà enfoncée en pleine gorge avant lui ? Idem un personnage : incapable de lui insuffler le peu de vie qu’il lui faudrait. Ils sont, eux, vides idem.

    Mais moi, si j’avais pas écrit, j’aurais pu vivre quoi ?
  • 040312

    4 mars 2012

    Retour à la normale après drôle de semaine que cette semaine passée. D’abord avec l’expérience Voix d’aujourd’hui lundi, mardi (Bretagne). Puis le retour Y., triste banlieue de banlieue mercredi, reprise du taf le lendemain. Visite éclaire parents hier. Et lecture, hier matin, avant-hier soir, de l’intervention de René Audet sur le Livre des peurs primaires à l’occasion du colloque « Intériorités contemporaines ». Sais pas où me mettre ni quoi en dire. Remercier René Audet pour son travail.

    Ce jour dimanche retour aux fondamentaux. J’ai mis la date dans les bouquins trouvés hier, repris chemin de l’écran. Sur cet écran des heures, virer copiste. Poursuivre les Ulysse pour que ce soir dans la machine chaque phrase chaque jour soit programmée. Poursuivre (mais timidement poursuivre) réécriture en vrais vers justifiés de ce machin vies //. Quant au titre, j’en viendrais presque à dire (et à penser) que juste // ou /// ça pourrait bien suffire.

  • T’écris ///

    11 mars 2012

    Sais pas ce que tu fous. Après des semaines à réécrire en vrais vers justifiés les machins gribouillés dans le dossier vies // tu reprends tout (une deuxième fois) pour réécrire, ré-bis. T’as ouvert un spip’, parallèle au premier, pour l’instant accessible mais caché. Peut-être un jour le rendre public quand le truc sera prêt pour être bu. En mettant le texte en ligne (celui écrit deux fois, réécrit aujourd’hui), le confronter directement aux contraintes du machin : les liens, l’image, l’organisation du bloc de texte sur la page. Ouvert un compte (aussi) OpenStreetMap ; t’as plus écrit en explorant le cadastre qu’en cognant ton clavier.

    T’es pas sûr que l’écriture elle suive. Peut-être c’est d’avoir choisi la narration au tu, ça te dérange. Arrives pas trop à pas tomber dans le jeu du catalogue d’action. Faudrait que t’écrives au je et puis que tu changes à la dernière minute, sauf que c’est faux, tu peux pas : en vrais vers justifiés ça décalerait d’une lettre tout. T’hésites à coller sur le site des extraits car tu es fier de rien. Mais lorsque tu te penches sur ces bouts de texte déjà complets te dire que t’as rien à redire ou à retoucher, que le problème c’est autre chose. Mais quoi ?

    XAABB3 (37c)

    Tu vois danser les ombres, allongé nu
    sur un tas de briques. Les lumières :
    elles ricochent sourdes dans quelques
    1000 conduits d’aération morte, elles
    débouchent là, sur le mur, ton écran,
    elles mouillent l’architecture, tu te
    tais, tu regardes. Tu sauras, avec le
    temps, appréhender l’espace. Ici, là,
    ton nid dur, arrêtes sèches, ailleurs
    l’écluse qui traîne plus loin l’égout
    & l’eau errante. Les Rimbaud ? Sont :
    partis, pieds nus, débiles. Déguerpis
    c’est tant mieux. Et les flics, eux :
    nulle part (les bottes se sont tues).

    Tu as cherché, ces derniers jours, un
    moyen d’accéder à l’en-haut. Échelle.
    Le tas de merdes empilées non loin de
    là n’en contient point, misère, nada,
    que dalle. Tu t’étends bis dans jaune
    la mousse que tu mâches quelques fois
    (goût de cadavre jaune). Ondule l’eau
    noire des canots rouille (la même que
    celle qui douce te berce). Paupières.

    Seul, entre toi & ton crâne (quand il
    daigne peser), sous-sol, ici bas : tu
    retrouves l’atmosphère souterraine de
    ton très aimé train. Souvent, lorsque
    les ombres remuent, on croirait juste
    que le boyau avance. Tu t’accroches à
    la barre de tes genoux pour y croire.

    Ton accoudoir est un pneu & tes rêves
    cassés, occasionnels, te plaquent une
    ombre de carne venimeuse : Cacmille !
    La voilà qui t’insulte. Te reproche :
    ton mutisme & ta gueule & ta crasse &
    ta résignation. Bon. Résiste, qu’elle
    chante. Ou bien cherche l’échelle. Ou
    quoi d’autre. Elle pose seins nus, là
    où tes pupilles pointent, pour que de
    grâce tes yeux la prennent tous flash
    ouverts dans cette extase. Peut-être,
    peut-être, aurais-tu, déjà, renoncé à
    elle. Peut-être pas. Tes yeux ouverts
    le sont. Non, zéro rêve, Cacmille est
    là, absente, ses mots sont vrais/faux
    & puent comme seul sait puer l’égout.

    Te dis souvent que c’est illisible (ou incompréhensible, ce qui n’est pas tout à fait la même chose). Alors tu reprends, tu bosses, tu réécris. Voilà le résultat : pas plus compréhensible qu’avant. Hier relu Coup de tête par bribes. Même histoire. T’être dit merde mais qu’est-ce que ça veut dire ?

  • 200312

    20 mars 2012

    Descends : tu
    seras à l’abri de la poussière grise et des salissures du
    monde, à l’abri des masses d’air froid violentes qui rendent
    la ville ingrate, et si inconfortable – que te plains-tu
    de descendre. Ceux qui s’affichent ici, sur les trottoirs, les
    immobiles, leur tête est détruite, leur corps est rongé, voilà
    ce que pour toi tu souhaites ? Souviens-toi de l’ancien
    plaisir à ces bouffées de chaleur, à ces odeurs que tu reconnais,
    la ville, et comme tu l’aimais le monde électrique,
    ou le café que tu prenais sur les tabourets du comptoir,
    mais dans le calme de ta pièce en bas, tu as fonction, et
    travail réservé à toi seul, ta clé et ton écran. Descends : va
    dans les couloirs, va dans les galeries, offre-toi les détours
    que tu souhaites, reste longtemps dans les empilements
    horizontaux du fer qui gronde, regarde toi aussi les parois
    mobiles et les publicités peintes, lis ces journaux qu’on offre,
    avec photographies du monde d’en haut – c’est gratuit.
    N’envie pas le destin de ceux qui sont là-haut, dans le
    monde illuminé des affaires : ils n’ont pas de bonheur, les
    affaires vont mal. Et quand ils quittent les édifices, ils aimeraient
    bien mieux s’enfoncer dans les allées de la permanence
    de toute chose, du plan réglé de la ville d’en bas.
    Descends. Ne reste pas au carrefour. Regarde, la porte est
    dans ton dos, l’escalier en face, il descend. Le portillon de
    fer pour toi est libre, là en bas on t’attend, descends.

    François Bon, Formes d’une guerre, Publie.net

    J’ai vu un homme, cassé le dos en deux, deux étoffes de tissus harnachées à sa taille, deux extrémités autres accrochées à un carton par terre, sur le carton un sandwich, et il marchait, il marche, sa charrette en laine sale sur le dos, et je ne sais pas où il allait bon sang ; hagard était son nom. Perle de langue des autres : on est ceux qui sommes... Je relève. Lisant ce passage de Formes d’une guerre, me suis souvenu d’une peur primaire, d’ailleurs lu pour Ivoix février, à Brest, et si je suis toujours bien sûr leurs publications au jour le jour je suis toujours étonné de découvrir, transcrites, tout ou partie de mes réponses sur telle ou telle question et je me dis mais non, est-ce que j’aurais dit ça, peut-être que je souffrirais de schizomythophrénie quelque chose, quoiqu’il en soit j’ai toujours voulu descendre, d’ailleurs ce projet de galeries souterraines, à Bure, censées avaler nos prochains futurs déchets nucléaires, des kilomètres de galeries radioactives, j’aimerais bien en visiter les couloirs. Surpris d’entendre, hier, Arte, docu Déchets : le cauchemar du nucléaire, la phrase (de mémoire sauf que non) : « la politique énergétique en France est inventée, est développée, sous la responsabilité du corps des Mines ». J’ai lu il y a peu de temps l’Héliopolis de qui l’on sait. Sa lecture m’est restée, intacte, sous les deux yeux (paupières). Du surintendant des mines (car c’est à lui de suite que j’ai pensé, pas à La Hague), Philippe Curval, dans un article de 1977 pour le Magazine littéraire dit qu’il « sait que les secrets ultimes se dissimulent dans les cristaux qui ont vu les premiers soubresauts de l’univers ». Lors de son apparition dans le chapitre intitulé « Au Pagos », Jünger le présente ainsi :

    Le surintendant des mines était l’administrateur des réserves d’or. En cette qualité, il était en relation avec le grand trésor au-delà des Hespérides, et avait des liaisons cosmiques une connaissance que peu de gens partageaient. Adversaire conservateur de l’Energéion, dans les luttes monétaires et les grandes transactions, il représentait le parti de l’or, mais sans jamais jouer ce rôle à découvert. « La mort et l’or, aimait-il dire, sont les deux puissances qui se passent de propagande. » Quant à ses travaux à la Nouvelle Université, ils se limitaient strictement aux mathématiques ; il passait pour un cristallographe de premier ordre. De là venait qu’on eût à peine trouvé quelqu’un qui fût aussi versé dans la technique du rayonnement.

    Ersnt Jünger, Héliopolis, Livre de poche, traduction Henri Plard, P.215-216

    Je ne l’avais pas remarqué à première lecture : le sous-titre « Vue d’une ville disparue ». Tout m’intéresse : les Fukushima, les bombes, le terrorisme, les déchets nucléaires, la misère aux portes de nos pores. Pas l’actualité. J’ai ouvert ce matin, avant partir avec mes jambes sous le bras, un dossier intitulé postapocalypse. J’y ai glissé deux faits, divers, figés en PDF et lus dans les journaux du web. Le premier s’intitule « Regain de violence au Mexique » et le second « Vigipirate écarlate, une première en France ». L’écarlate, la couleur, a pour équivalent, en triplet hexadécimal, soit le code couleur HTML correspondant à cette teinte, le pseudonyme FF2400. J’ai dessiné, code très sommaire dans l’éditeur, un carré de 500 pixels par 500 dans cette couleur FF2400. Je ne sais pas si cette image (ou absence d’image là) me rapproche (ou pas) de la fameuse postapocalypse. Je sais, en revanche, que dans l’un des tronçons futurs de vies //, si je l’écris, notre héros marchera, seul ou pas seul que sais-je, en direction d’un point zéro et nucléarisé, peut-être à la surface, peut-être dans des tunnels, et qu’il trouvera, sur sa route, des familles ou des corps essaimés, vivant encore sur place, et qui diraient, ces corps, résignés qu’ils sont tous, qu’ils ne partiront pas, et pourquoi partiraient-ils puisqu’ils ont « toujours vécu là » ?


  • ↑ 1 

    Quand j’écris, je travaille par séries : j’ai plusieurs chemises où je glisse les pages qu’il m’arrive d’écrire, selon les idées qui me passent par la tête, ou même de simples notes pour des choses que je voudrais écrire. J’ai une chemise pour les objets, une chemise pour les animaux, une pour les hommes, une pour les personnages historiques et une autre encore pour les héros de la mythologie ; j’ai une chemise sur les quatre saisons et une sur les cinq sens ; dans une autre, je rassemble des pages sur les villes et les paysages de ma vie et dans une autre encore celles sur des villes imaginaires, hors de l’espace et du temps. Quand une chemise commence à se remplir, je me mets à penser au livre que je peux en tirer. 

    Italo Calvino, Les villes invisibles, Préface, Points Seuil, traduit par Martine Van Geertruyden, P.1-2.

    ↑ 2 J’écris cette germe, pensant d’abord écrire cette gerbe, lapsus clavier, puis je le laisse, inattention, à la relecture je le trouve, ce coquillage, et je m’en satisfais, alors je laisse l’image, trompe le genre et conserve le mot.

    ↑ 3 Notes non lues durant lecture, car renvoi vers la page d’origine non gérés par le Cybook Odyssey, ce qui aurait rendu lecture des dites notes très peu pratique et, avouons le, assez décourageante.

    ↑ 4 Ce qui nous fait nous interroger sur la place j’ai envie de dire géographique d’une note de bas de page. Prolongerait-elle le texte derrière l’excipit ou bien s’insérerait-elle au sein même du récit, un peu à la manière dont sont présentes, dans le code SPIP d’une page web (car Fuir est propulsé par Spip), les notes de bas de pages à l’intérieur du paragraphe en cours, et non au pied de celui-ci ou en pied de page telles qu’elles apparaissent effectivement sur la page une fois interprétée par le navigateur ?

    ↑ 5 Prétexte ?

    ↑ 6 Ben oui.

    ↑ 7 Le titre de cette page, « Donner le nord aux autres », provient également de ce texte.