Carl Craig



  • 300614

    8 juillet 2014

    Je fais vite pour m’arracher à l’attraction de la vie grise, me dépêcher dans le métro (je prends la quatorze, pas la huit, à cause de la vétusté, puis la six à Bercy), les corps dans les couloirs ont les yeux dans leurs poches ou sur l’écran des moniteurs ou sur l’os frêle de leurs poignets, à dix-huit heures heure française il y a un huitième de finale de coupe du monde, j’arrive à l’heure exacte (ils ont pourtant changé les codes d’immeuble exprès), H. n’est pas là, je lui écris un texto qui lui dit que le cache-cache-la-télécommande un jour de match c’est salaud (mais c’est faux : c’est la télécommande qui s’avère obsolète).

    La France gagne deux à zéro au terme d’un match tendu et lent. Enyeama, auteur d’une grosse saison avec le LOSC et excellent en face à face, rate ses trois sorties aériennes du match, dont la dernière amène le premier but français. Il y a des syllabes qui hurlent par la rue quelques insanités et quelqu’un dit probablement quelque part je déteste le foot.

    Puis, par dessus l’Allemagne — Algérie 1 en mute, le Requiem de Fauré retranscrit pour piano par Emile Naoumoff, l’incroyable Boléro recomposé par Carl Craig et Moritz Von Oswald (il faut absolument courir sur ça).

  • 010714

    9 juillet 2014

    Vie grise. Des tableaux xls à nouveau. J’ai des listes interminables de propriétés plastiques dans un tableau, on va toutes les tirer en 1400 exemplaires et en quadrichromie, peu importe pourquoi, et je les passe au peigne fin ces lignes pour écrémer les erreurs, pour vérifier que les chiffres correspondent bien au schéma de trente-cinq slash vingt-cinq cinquante-cinq, peu importe pourquoi ou ce que ça recouvre en réalité que ces chiffres et ces combinaisons, je travaille sur un fichier vicié, il faut le dire, on ne m’a pas filé la dernière version en date ce qui signifie que je refais le travail que quelqu’un, en amont, à deux pas, a déjà fait une fois, j’en ai conscience, et ce taff un robot pourrait le faire j’en ai conscience aussi 2, il suffirait pour cela de répartir mes trois chiffres en trois colonnes distinctes, d’ensuite apposer dans la colonne contiguë la formule correspondante qui permet de sonder une donnée contenue dans telle case pour contrôler si elle est, oui ou non, inférieure ou supérieur au chiffre recherché (cinquante-cinq ou trente-cinq ou vingt-cinq), ce taf-là donc il serait effectué en un quart de seconde mais moi je passe la matinée dessus et je suis noir, dans les yeux je suis noir, car à ma seule question, qui tenait bien évidemment du bon sens (savoir où se situait dans le réseau interminable le fichier précédent sur lequel une partie de mon taf était fait), Cerbère me répondra cette seule phrase : j’en pose, moi, des questions ?

    Quelqu’un dehors à même la rue, dessous ses bras des paquets emballés de PQ par six, par douze, il regarde quelque chose, il est absorbé par quelque chose, ce quelque chose est une épiphanie : c’est un combat de pigeons sur le trottoir.

    Couru 5.6km, 33min09, sur l’étourdissant Recomposed d’hier. Je commence à m’en foutre des chiffres, de la distance parcourue, du temps, du nombre de tours, de chiens, ça m’est égal, c’est bien.

  • 020714

    14 juillet 2014

    "So, what do you think about that ?" he asked cautiously, wanting to get her opinion on the whole Daniel thing.
    Bekka shrugged and chewed. "Whatever," she said, her new word for "You’re welcome," "Hello," "Goodbye," and "I’m only eight."
    "I really just don’t want all his stuff there. His car already blocks our car in the driveway."
    "Bummer," Ira said, his new word for "I must remain as neutral as possible" and "Your mother’s a whore."
    "I don’t want a stepfather," Bekka said.
    "Maybe he could just live on the steps," Ira said, and Bekka smirked, her mouth full of mozzarella.
    "Besides," she said, "I like Larry better. He’s stronger."
    "Who’s Larry ?" Ira said, instead of "bummer."
    "He’s this other dude," Bekka said. She sometimes referred to her mother as a "dudette."
    "Bummer," Ira said. "Big, big bummer."

    Lorrie Moore, Debarking in The Collected Stories of Lorrie Moore

    Je me demande ce qu’il en est de nos identités numériques lorsque nous décidons d’abandonner de nous-mêmes nos comptes, ici par exemple un compte Twitter, alors on dirait que nous céderions notre @, c’est-à-dire notre pseudonyme, notre visage dans la machine, je ne me suis jamais posé la question mais j’imagine qu’il y a une option prévue pour, une requête, lorsqu’on exprime le souhait non seulement d’arrêter d’utiliser l’outil (Twitter) mais également d’effacer son activité passée et, donc, sa réalité personnelle sur ce réseau. Par la suite, c’est déjà arrivé je veux dire, je veux dire par là qu’il m’est déjà arrivé de me dire mais tiens qu’est devenu @machin, alors je cherche @machin et je me rends compte que @machin s’est métamorphosé en adolescente albanaise ou en haltérophile (ce qu’il n’était pas à l’origine, @machin) bref, par la suite, peut-on cocher une option pour réserver son alias afin que personne ne l’utilise à sa place ? Ou bien est-on condamné à choisir entre son identité numérique et sa liberté spirituelle ?

    Lu cette très bonne étude de la chanson The Man Who Sold the World dont, par exemple, j’ignorais la genèse (ou bien alors je l’ai lu dans le Bowie de Buckley et je l’ai oubliée). J’avoue aimer assez la version disco-glam de Lulu déguisée en gangster. La version dite de réappropriation avec Brian Eno en 1995 je ne crois pas la connaître (mais je me souviens d’un live étrange et épuré qui doit dater de la même période 3). Je n’ai jamais vraiment beaucoup aimé la version Unplugged de Nirvana en 94 et puis, Nirvana, je n’ai jamais réellement écouté, et je ne me suis jamais réellement autorisé à l’écouter car, à l’époque, ça aurait été empiéter sur le territoire musical de mon frère (ça c’était impossible).

    Énervé, agacé, toute la journée durant. J’essaye de me calmer ça échoue. J’ai besoin de courir précisément ce que j’ai déjà couru hier, 33 minutes encore, 5km encore, sur le tout même Recomposed qu’hier. Il y a des chiens heureux. Ça aide.

  • 050714

    18 juillet 2014

    "You know, once I was listening to some friends talk about travelling in the Pacific. They left Australia early one morning and arrived in California the evening of the day before. And I thought, I’d like to do that—keep crossing the international date line and get all the way back to when Bruno was a little boy again."
    "Yeah," Ira said. "I’d like to get back to the moment where I signed my divorce agreement. I have a few changes I’d like to make."
    "You’d have to bring a pen," she said strangely.
    He studied her, to memorize her face. "I would never time-travel without a pen," he said.

    Lorrie Moore, Debarking in The Collected Stories of Lorrie Moore

    Je rechigne à reprendre le Transoxiane trois. Simplement le relire et lister les corrections et les réécritures qu’il faudra apporter. Je l’ai laissé reposer trois semaines, c’est suffisant, mais je rechigne. Je n’aime pas cette phase là. C’est une phase laborieuse.

    Puis viendront d’autres tests au micro pour lire convenablement Coup de Tête. La technique s’améliore 4, ce qui me manque c’est la voix. Plus d’un an que j’ai cette envie d’enregistrer des extraits audio de ce livre mais jusqu’à aujourd’hui je ne suis pas parvenu à trouver le bon timbre, le bon rythme, la bonne diction. Je ne peux pas lire avec ma voix normale. Ce ne serait pas viable.

    Retour au Transoxiane trois, je note à la fin du RTF, en bas de page 83, à l’endroit où je liste les trucs à changer ou à accumuler éventuellement, les points suivants :

    1. des survêtements synthétiques
    2. quelqu’un part acheter à manger c’est piteux
    3. aggraver la misère

    Dehors il fait chaud, lourd, humide, gris, il n’y a pas d’air, il n’y a pas grand monde dans les rues, il y a du monde aux guichets de la gare de Bercy, à dix minutes à peine de la rue T., je l’ai rejointe par un itinéraire pour le moins alambiqué, il y a du monde chez Atout livre où je cherche un, deux, cadeau(x) d’anniversaire. Par ailleurs j’écris peu.

    Couru 5km53, 33min05, toujours sur le Recomposed de Carl Craig et Moritz Von Oswald. Presque personne, des odeurs de barbeuk. Peu de chiens. Me demande, en remontant lentement l’avenue Daumesnil, pourquoi je ne passe pas tout mon temps où je n’écris pas /// 5 à écrire ///.

  • 070714

    21 juillet 2014

    Je n’avais jamais vu autant de disques de ma vie, des milliards de microsillons en acétylène polymérisé qui puaient le pneu usé. Mon type sautait de box en box, propulsé par une sorte d’intuition métapsychique. Il n’était pas en transe, c’était autre chose, une réaction difficile à définir, un mélange d’esprit missionnaire et d’état d’hyperlucidité. Il paraissait prendre tout cela avec un sérieux extrême comme si sa propre vie en dépendait. Il semblait totalement concentré sur sa tâche, mentalement séquestré dans une cellule transparente et hermétique qui avait pour enseigne Krautrock. Je pris alors conscience de toute cette passion insane qui l’habitait : il cachait sa folie sous les aspects raisonnables d’un simple travail à accomplir. Ça n’en était que plus trouble. Car, à mon humble avis, rien n’est plus terrifiant que ces personnes qui savent dissimuler les abîmes psychiques qui les forent sans relâche sous le masque du contrôle total.

    Bruce Bégout, KOSMISCHE MUSIK in L’Accumulation primitive de la noirceur, Allia

    Très mal dormi. L’engeance qui vit à l’étage au-dessus a encore décidé de bousculer les meubles et de marcher 6.

    Au bureau, on te demande souvent, le lundi, ce que tu as fait de ton week-end, en général je ne réponds jamais que des banalités, le plus souvent fictives, ou je marmonne, comme aujourd’hui, après avoir utilisé par accident ou par inadvertance le mot business, une succession d’affirmations qu’on dirait droit sorti des titres secs des dépêches AFP, il n’a pas fait très beau, la France a perdu contre l’Allemagne, Neandertal était plus ancien que nous l’avions cru, avant la fin de ce siècle Paris aura le même climat que l’actuel sud de l’Espagne, il y a des dizaines ou des centaines de milliers d’années des hippopotames se baignaient dans la Tamise, ce genre de choses. Cela me pose un problème : non pas l’instant lui-même au cours duquel j’ai prononcé cette série de réalités difformes mais l’acte de les reproduire ici, dans le journal, et d’imaginer à l’avance qu’un jour, dans le futur nécessairement, quelqu’un ou quelque chose sera peut-être à-même d’archiver ces phrases et de les conserver plus ou moins précieusement comme nous conservons de nos jours des livres. Ce qui me pose un problème, ce sont les liens vers lesquels pointent une partie de ces mots, liens qui permettent de relier la retranscription laborieuse, quotidienne, à l’authentique monde vivant du dehors. Pourront-elles, ces banques d’archives imaginaires, archiver tout en contextualisant ? Et si oui, cela signifie-t-il que, pour ce faire, il faudrait archiver à longueur de temps une photographie du web tout entier tel qu’il existe et ce toutes les heures, minutes, secondes, nano-secondes ? Je n’ai pas de réponse à aucune de ces questions mais je pense (je suppose) qu’il m’est tout simplement impossible d’y répondre car je ne possède pas (encore) le bon paradigme pour imaginer quels outils demain ou après-demain on nous mettra entre les mains.

    Entre treize et quatorze faire les soldes, rapidement. J’ai écrit sur ma main gauche, au-dessus du pouce, presque au niveau du poignet, les chiffres correspondant à ma taille de pantalon car je ne retiens jamais ma taille de pantalon, quoi qu’il ne s’agisse pas réellement de ma taille de pantalon, c’est la taille de celui que je porte aujourd’hui, qui est deux tailles au-dessus de ma taille véritable car je l’aurais acheté sans l’essayer ou sans noter ma taille de pantalon sur un bout de mon pouce voilà tout.

    Couru sous une pluie lente et épaisse, régulière, capable de se substituer à ma propre peau. 5.36km, 34min35, sur le Recomposed. À mon grand étonnement, il n’y a pas personne autour du lac et sous la pluie. Des joggers. Des joueurs de Frisbee. Des promeneurs avec ou sans parapluie. Il me vient des idées pour raccommoder le truc raté écrit hier sur /// plus ou moins.

  • 080714

    1er août 2014

    Soupir souffre, il ne peut plus manger, il doit se faire limer les dents, je suis seul cette semaine, H. est parti plus à l’ouest samedi à l’aube, j’ai besoin de me libérer du taf alimentaire quelques heures, je ne vais pas travailler ce matin, je verrai avec eux comment régler ça plus tard car ça n’est pas très important, je le laisse à la clinique des lapins (Soupir), je repasserai ce soir pour le récupérer, je me trouve à devoir grignoter quelque chose, midi, avant de partir travailler à treize heures, ce qui ne m’était vraisemblablement plus arrivé depuis que partir travailler signifiait, à l’époque, marcher quelques minutes et m’installer derrière le long comptoir d’une librairie en Bretagne, ça n’avait pas duré, nous étions vite partis, à cause des mutations.

    Dans son journal (peut-être) Julien Boutonnier écrit la chose suivante (c’est entre parenthèses, je l’en extirpe) :

    Aujourd’hui, il me semble plus que déterminant de pouvoir justifier, même si c’est en termes poétiques, irrationnels ou divagants, le choix d’un support numérique ou papier. Aujourd’hui, cette question est présente dans le processus même d’une création (au même titre peut-être qu’un peintre choisit ses matières en fonction de son projet).

    Voilà ce que je ressens moi aussi et voilà ce sur quoi il met les mots qui me manquent. Nous pourrions l’élargir à plein d’autres nuances qu’il y aurait entre numérique et papier (il y en a). Laurent Margantin l’autre jour me disait indirectement quid de la spécificité de l’écriture sur le web ? Bien sûr, elle existe, mais elle ne s’applique pas à tout ni tout le temps. D’ailleurs, tout n’est pas toujours écrit par et pour et sur le web. Nous manions des palettes de couleurs aux spectres étendus (je ne saurais pas, pour ma part, faire autrement que comme ça : en explorant toutes les directions possibles).

    Le soir chercher le Soupir neuf, limé, réparé, furieux. Dans la salle d’attente, un couple qui sort de la salle d’examen, elle pleure, il demande s’il peut récupérer la cage, elle avait dit la boîte, je ne sais plus si je me trouve bien là où je me trouve, mes vêtements sont trop grands, ils débordent, c’est une leucémie, disent-ils, avant de s’en aller sonnés.

    Cet impressionnant live de Moritz Von Oswald, Carl Craig et Francesco Tristano, que je me rappelle encore être allé voir, en préambule du Kronos Quartet, à l’abbaye de l’Épau, près du Mans, avec H., c’était en 2008, et, à l’époque, il avait un troisième nom.

  • 030914

    23 septembre 2014

    Essayé l’autre jour de gribouiller le début d’un Transoxiane quatre. Pas marché. Trouvé un titre de synthèse, tiendra ou tiendra pas. Peut-être vaut-il mieux partir d’un procès, ce serait un machin narratif pour revenir en arrière sur, je ne sais pas moi, autre chose. Il faudrait que je me base sur quelque chose d’existant (je me souviens d’Exposé des faits, oui, mais c’est un truc américain).

    Couru 4km16, 26min30, sur Recomposed. De la lumière plongeante. Une demi-baguette (50 centimes ça coûte une demi-baguette).

    Une salade. De la mâche, de la roquette, des tomates anciennes des petits paniers, un œuf d’hier, des cornichons, du comté dit prestige. Dans la série honteuse, guillty pleasure du soir, le héros fait son coming out de loup garrou à sa mère à cause des circonstances. Pendant de longues minutes je cherche, sur YouTube, à écouter une chanson agréable, mais il n’y a rien dans ma tête c’est le vide. Le journal est très pauvre ces jours-ci.

  • 080216

    19 mars 2016

    Je ne dis pas – écoutez – qu’il ne reste pas d’oiseaux. Peut-être y a-t-il quelque part une montagne aux routes rares et étroitement bordées de jungle, interrompues tous les dix kilomètres de coulées de boue et d’éboulis, où le langage qu’ils emploient est le seul à saluer le retour du soleil.

    Vincent Message, Défaite des maîtres et possesseurs, Seuil

    Cette émission signalée par Christine sur John Cage. Il est question d’Ocean, « espèce d’Ulysse contemporain mais sous-marin ». Existe-t-il cet Ocean ? Il est mort avant semble-t-il. Joyce aussi, il est mort avant. Ignorais qu’il comptait écrire sur. Un autre truc (ou bien c’est le même truc ?), Litany for the Whale, très fort. Mueller : les vers sont décalés. Je veux dire dans le décompte (les numéros je veux dire). Il doit y avoir un truc dans l’interligne qui rate. Je dois en être à 1400. À « Je me tais pour tout boire ». Non, jusqu’à la fin du monologue d’Imke Leal. Ça tient bien, mais que de notes en plus j’ai notées (16 en tout pour l’instant)... Quelqu’un me dit je suis jusqu’au cou dans la myxomatose. Bach est là, remixé. Et c’est limpide soudain : quoi que je fasse mais je suis trop précautionneux. Il faut que j’apprenne à simplifier mes gestes. Genre, tous mes gestes.


  • ↑ 1 Je suis pour les prolongations.

    ↑ 2 Comme un robot — pardon, un algorithme — peut déjà faire le taf d’un journaliste à présent, on en est là aujourd’hui.

    ↑ 3 En fait c’est ça.

    ↑ 4 La joie de devoir se recouvrir d’une couette épaisse pour filtrer les bruits de fond, le tout avec l’ordi qui chauffe et l’iPad pour lire en plein mois de juillet.

    ↑ 5 Le temps passé à regarder dehors, à bosser, à dormir, à manger, à regarder le décevant Belgique — Argentine (quant à Pays-Bas — Costa-Rica j’aurais mieux fait de ne regarder que les prolongations et la séance de tirs au but), à écrire dans le journal que je n’écris pas vraiment, etc.

    ↑ 6 Comme on s’étonne que la nouvelle voisine marche, dans la saison un de Mad Men, celle qui est (scandale !) divorçay.