Je lis ici ou là (j’ignore qui sont ces gens, je veux dire ils sont blancs et c’est en soit suspect) que quand on regarde les chiffres la police US tue autant de Blancs que de Noirs, ce n’est donc pas systémique. Mais qui produit ces chiffres ? Et dans quelles conditions ? Depuis quand regarder les chiffres fait fonction de preuve ? Partout où je suis passé dans mes précédentes vies professionnelles, et sur des sujets considérablement moins sensibles (les basses business du petit capitalisme, de la start up pré effondrement au grand groupe multinationnal côté en Asie surfant la vague d’une croissance à deux chiffres), les statistiques internes (les fameux reporting) n’étaient pas absolus mais relatifs. Ces fichiers sont conçus, aménagés, édités, segmentés dans l’idée de servir un récit préconstruit qui précède la fabrication des chiffres censés les engendrer. Il y a ici une faille qui est une faille technique autant qu’une faille morale. Alors que penser de statistiques criminelles qui sont, de fait, contrôlées et produites par ceux-là même qui sont suspectés de les effectuer ? Et qu’en est-il de l’arbitraire des chiffres ? Rien que de tenir des statistiques de soi fiables au quotidien, sur un sujet qui ne concerne que soi, et qui ne dépend en rien du monde extérieur, c’est impossible. Comment quadriller suffisamment l’objet de nos recherches quand c’est irréductible aux chiffres ? Comment estimer la douleur et la comparer dans l’espace et dans le temps ? Là, des douleurs récurentes mais infimes depuis un jour précis, consécutif d’un moment particulier dans le temps, qu’on peut identifier comme cause première, avec autour des facteurs agravants potentiels (l’alimentation, la lumière, la chute brutale de la pression atmosphérique). Rien de tout ça n’est une migraine, mais peut être interprété comme les effets consécutifs d’une migraine précédente ou préfigurant une migraine à venir (prodrome). Un prodrome de quatre jours et demi, par exemple, jusqu’à ce jour 14h. Là, toujours pas de douleur (donc à ce stade, que note-t-on dans un tableau de la douleur : quatre jours et demi de douleur sans douleur ?) mais un cocktail de sensations qui laissent assez peu de doute quant à la nature de leur origine. Qu’écrire ? Les chiffres retranscrivent-ils la réalité ? Parce que les mots oui ? Je note des bribes de phrases censées baliser tout ça : febr, tvb, limite, prodrome donc, etc. Tags, quoi. Que recouvrent-ils ? Est-ce que ce brouhaha de pensées, cette enquête sans suspects, sans mobile, sans victime, n’est pas potentiellement une cause possible de tout ce maelstrom ? Comment sont tenues les statistiques de la criminalité (pas seulement aux US, mais partout) ? Et surtout, comment, connaissant les mécanismes de ces statistiques, font les acteurs concernés (à ce stade plutôt le management (sic) des forces de police que le péquin moyen du planton) pour les détourner au service d’un récit préformé dans leur discours, voire dans leurs préjugés (un exemple typique : plus de ruptures de confinement en Seine Saint-Denis qu’ailleurs en région parisienne, oui mais qui contrôlait quoi et surtout comment, par exemple dans les Hauts-de-Seine, comparativement) ? Et surtout, parce que ces histoires de chiffres ne concernent finalement rien ni personne, ils sont abstraits, ils sont octets dans un tableau excel, la véritable question étant bien sûr comment justifie-t-on de plaquer au sol qui que ce soit pendant X minutes jusqu’à ce que la personne finisse littéralement écrasée sous le poids de ceux-là même qui sont censés les protéger-servir, et par ailleurs contribuer à la production de statistiques ayant trait aux violences policières et au racisme propagés par eux dans leurs rangs ?


samedi 4 juillet 2020 - samedi 18 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)