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C’était donc une énorme pomme de terre. Génitale et germée. Un sexe, des bourses. Ça ressemblait à ça. En tant que femme, j’ai dit : un sexe XY. Je me souvient avoir pensé : si j’étais dans un film, je n’aurais pas réagi de cette façon. Quelle aurait été mon attitude alors ? Peu de mots, des images. Une mise en scène, quoi. Moi dans un miroir en train de me mirer avec cette chose à la place de la mienne. Dans un roman les circonstances auraient été déviantes : l’auteur (c’est un homme) me l’aurait introduit dans le con, car il aurait tenu à dire ça, à écrire le mot con, avant qui sait des pages sur la rêcheur, la terre , plusieurs heures après l’acte, de préférence au fond d’un lit, dans la sueur du sommeil, s’écoulant hors de moi. Rien que de penser aux nombres d’adjectifs en jeu dans cette scène, j’en ai des vertiges. Héroïne d’une série télé je ferais collection de légumes imitant par la forme ou l’aspect des organes humains, ce ne serait pas le cœur de mon activité, il y aurait une intrigue, je serais médecin légiste dans une grande ville, par exemple, ou hackeuse borderline et autiste, ce serait métaphorique à un certain degré, ou un gimmick dont les scénaristes usent, notamment pour clore un épisode. On me voit examiner ces trucs, les ranger quelque part ; symbole pour baliser le scénario. Si c’est une BD, le fond des cases sera probablement coloré à la palette graphique, le ciel ou les murs aura toujours une couleur unie, étale, non-texturée. Je serais là un homme hétérosexuel, je ne laverais pas la terre, j’avalerais ma salive et je lécherais le bout du gland tuberculeux après avoir pris soin de vérifier, au préalable, que personne ne me voie faire. Une bulle en pointillés m’aurait fait dire (ou penser) : alors c’est ça être un homosexuel ? Tout cela est très figé. C’est la même chose avec ce vieux bonhomme tombé dans la rue l’autre jour. Passant près de lui, vacant à nos occupations, martelant le bitume, tous nous nous sommes retournés. Il était saoul ce vieux, il est tombé dans l’ombre. Personne ne s’est approché, personne ne l’a aidé, personne ne lui a chuchoté le moindre mot. Ce qu’il faut dire c’est qu’il avait le pantalon sur les mollets, et qu’il se touchait l’entre. Nous sommes donc repartis, anonymes, vers nos vies respectives, après avoir constaté qu’il n’était pas mort. Quelque part, nous étions bien heureux, chacun, de pouvoir nous reposer sur autrui quant aux gestes d’assitance et, bien sûr, j’en suis venu à me dire : heureusement qu’il se touchait, cet homme, sans ça comment aurais-je pu justifier mon désir de le fuir ? Le fait est qu’un homme n’aurait probablement pas raconté les choses de cette façon (un homme aurait écrit bite ou queue, il aurait dit les choses, de la même façon qu’un homme aurait voulu absolument dire con, l’écrire du moins, dans le tissu d’un récit) et peut-être bien qu’un homme aurait tendu la main à ce vieux, je ne sais pas. Puisque je suis une femme, et pas un personnage de fiction, ni un professionel censé l’incarner dans un récit, je ne peux pas le savoir. C’est comme cette histoire de patate : on ne sait rien. Personne ne l’a achetée nulle part et pourtant elle est là. On la range pudiquement, sans jamais l’éplucher. Peut-être qu’on la réduira à son nom, tubercule, qu’on la laissera germer plus encore, et fatalement moisir, loin de nous, au fond d’une obscurité. Pourquoi ?


samedi 16 mai 2020 - mercredi 1er mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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