Le repas sera bientôt prêt a dit l’enfant.
Je lui ai demandé T’es qui ?
Je suis affamé.
Je te présente mort-de-faim.
Et puis l’enfant a dit je suis un enfant qui est mort.
Je lui ai demandé comment il était mort et l’enfant m’a posé la même question T’es qui ?
Alors je lui ai dit Ici-là je suis un étranger, étranger par rapport à toi dans un paradis qui n’est pas le mien et l’enfant m’a demandé Comment est-ce que tu as atterri ici ? Et alors je lui ai dit qu’on m’avait fait exploser et l’enfant m’a demandé Qui t’a fait exploser et pourquoi ? Et alors je lui ai dit qu’un enfant m’avait fait exploser, un enfant d’à peu près mon âge et du tien aussi, qu’il m’avait pris dans ses bras et m’avait explosé devant un magasin de chaussures de la rue Tchernichovsky à Jérusalem la Troisième Ville Sainte d’au moins un Empire et l’enfant m’a dit qu’une fois lui-même avait — pris dans les bras et — fait exploser quelqu’un va savoir qui et naturellement c’était pour ça qu’il avait mérité d’être là, en devant un martyr, il avait gagné cette vie après la vie par sa mort, une mort glorieuse, et alors je lui ai demandé Qui ? Et l’enfant m’a dit Je ne sais pas et alors je lui ai redemandé Qui c’était ?

Joshua Cohen, Le paradis des autres, Nouvel Attila, traduction Annie-France Mistral, P.95-97

Vie grise. Tout ce que nous faisons, tout ce que nous pensons, tout ce que nous suggérons ne nous conduit que vers une avalanche de mauvaises nouvelles en cascades, petites, minuscules parfois mais, oui, à force, fatigantes. Tout ce que l’on entend dire ce ne sont que des mots tristes et dictés par la tune. À une semaine de noël ben y a personne dans les magasins. Faire payer c’est cher ? Je laisse une enveloppe sur le bureau pour la naissance des mômes. Et le salaire. Vivre dans les beaux quartiers. Ça a un coût quand même. Vivre quelque part y élever des moutons. À la pharmacie du Relpax. Le type dit non pour l’Avrocardyl à cause de l’ordonnance. Il me pose des questions, je mens (je ne sais pas trop pourquoi mais je mens), dis que j’ai arrêté, le papier le prétend, il faut suivre la parole officielle, je ne dis pas que j’en ai des cartouches entières et que je continue au rythme d’un demi par jour, ce qui est peu. Reste trois boites, donc trois-cent jours. C’est que dalle trois-cent jours. On est déjà trois-cent jours après un autre jour qui nous était distant de trois-cent jours, jadis.