Quelqu’un sonne tôt, c’est H. qui a oublié un truc. Derrière, c’est moins tôt quand quelqu’un resonne, cette fois ce n’est plus H., c’est une femme qui relève les antiques compteurs électriques pas Linky, ce qui est étrange car le visage de cette femme s’est affichée quelques minutes plus tôt sous forme de publicité X ou Y sur le web (c’est certainement une coïncidence, à moins que la releveuse de compteur antique pas Linky soit aussi slash mannequin photo ou vice versa). Notre voisin de palier est absent, elle me demande si c’est bien M. X et moi je n’ai aucune idée de comment s’appelle ce type, alors même que nous vivons littéralement dans une boîte à chaussures collée à la sienne depuis des années. Pire que ça, je crois que je serais bien incapable de le reconnaître si on me présentait un line up de types qui lui ressemblent, à la façon des usual suspects, en admettant qu’il ait commis quelque chose et que je sois de mon côté un genre de témoin clé dans cette affaire. Je sais qu’il est blanc. Je crois qu’il est brun. C’est à peu près tout. En réalité, je ne connais le nom d’aucun de mes voisins du cinquième, je suppose simplement que quand je croise quelqu’un dans l’un des halls ou dans la cour, c’est un voisin potentiel, donc je lui dis bonjour. Passé la porte qui donne sur la rue, je ne dis plus bonjour à personne, d’ailleurs je ne regarde personne, et puis de toute façon je ne porte plus mes lunettes. Ça en dit long sur mon incapacité totale à me connecter à qu(o)i que ce soit dans la vie réelle qui, quel que soit le moment ou l’époque, te balance toujours des kilomètres de tapis roulant à avaler l’air ailleurs (c’est une métaphore), et toujours tu te retrouves à écouter « Morning passages » en te demandant ce que tu fous là (quel que soit ce ). Alors tu jettes un œil à la lucarne pour ne rien voir car moi, dans cette chanson, j’ai toujours cru qu’il disait un œil alalkin, ce qui ne veut rien dire du tout, et je m’imaginais que c’était un mot savant proche d’alcaline et ça me suffisait. Quelque part, apprenant ça aujourd’hui après avoir écouté mille fois cette chanson (qui est une belle chanson, et accessoirement la première où j’ai reconnu à l’oreille l’identité d’un pianiste), je suis déçu. Il y aurait des encyclopédies à écrire sur les chansons qu’on croit connaître par cœur et dont le texte nous échappe, nous envoyant toujours sur de fausses pistes plus ou moins exotiques. Par exemple, on pourrait recueillir des témoignages de plein de gens qui nous donneraient leurs exemples de chansons mal comprises, on leur demanderait alors d’imaginer un sens à leur version. Voilà quelque chose que je pourrais faire glisser dans Grieg car Grieg est susceptible d’accueillir à peu près tout et n’importe quoi. Par exemple, cette fausse version de Jane Eyre mise en ligne hier, c’est en réalité un truc qui provient de Grieg. Il y a un personnage là-dedans, Keller, qui enchaîne les jobs sans intérêt, et la nuit il écrit de la Vaudou. Qu’est-ce que c’est, la Vaudou ? Eh bien, par exemple c’est prendre Jane Eyre et la réécrire via diverses stratégies de traduction automatiques comme fiction robotique. C’est un coup d’essai. Il pourrait y en avoir d’autres. Par exemple des fusions de deux textes (mash-up) : L’odyssée et Alice au pays des merveilles, le tout dans l’espace, bien sûr, ce qui donnerait Alice 31. Les possibilités sont infinies. Bien sûr, Keller n’écrit pas ça sous son nom mais sous divers pseudonymes, chacun de ses pseudonymes possédant d’ailleurs eux-mêmes leurs propres pseudonymes, par exemple janE Ǝyre est l’œuvre de Rachel Karen Green (suivez mon regard). Mais ça ne me vaut rien de m’enfuir dans la fiction (et, une fois dans la fiction, dans la fiction de la fiction) car, comme l’écrit Anne Savelli dans Saint-Germain-en-Laye, partir : le vrai lieu est gainé entre les cils, l’iris et la paupière.


mercredi 9 octobre 2019 - samedi 4 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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