Le problème, ce n’est pas de se réveiller à 3h25, c’est de rester la même personne que la veille après avoir ouvert les yeux. Et puis le bruit que fait ce monde. Toux, ronflements, reniflements, conversations ineptes au téléphone, trains et métros, leurs frottements, l’ouverture de leurs portes, la fermeture, l’annonce assourdie dans l’haut-parleur maintenu dans les rames en dépit de sa périssabilité, et soi-même, les soupirs, les pas sur de l’asphalte, les marches d’escalier sur une cheville à demi entorsée, les inepties siennes le midi, les pensées pas moins ineptes que les dires, le proto-langage d’entreprise dans des mails pendant que les cliquetis vont sur le clavier, l’imprimante, les sons étouffés de quelques visios au loin, les gens qui disent benchmark à voix haute, la rue qui irrespire, l’éclairage automatique qui s’actionne, ou se sectionne sans qu’on ait besoin d’intervenir, le frottement des fibres textiles sur d’autres fibres textiles, le craquement des articulations arthritées, le dévidoir du scotch, le mot même, sa laideur, dévidoir, le tintement du mug dans quoi l’on a foutu un sachet de maté sur un sachet de thé pour tâcher de garder les yeux ouverts sans trop grimacer, après, fatalement, la bouilloire et sa bouillure en train comment dire d’œuvrer, sans compter au dehors l’impact de la pluie sur de la toile tendue en polyester au-dessus de soi, des fois des flaques, des véhicules roulant dans ça, fort heureusement pas de Porsche Cayenne, ou alors je n’ai pas fait attention, et les bribes de paroles, et les éclats de musique à voix haute, et la pluie qui redouble, et le gorgement des matières, et l’artificielle cloche à la proue des bus, et les trains sous le pont haut, quand ce n’est pas tout simplement une inconnue qui te fait un cours magistral sur la canelle, te voyant en attraper un quoi, un tube, un bocal, sur un rayonnage, quand on ne se connait ni d’Eve ni d’Adam et que tout ce qu’on désire c’est disparaître loin de tous et de tout… On le fait. En Suède, le bruit constitue la troisième cause la plus fréquente de maladie professionnelle reconnue, après les vibrations et le syndrome du canal carpien. Ok, mais comment taire tout ? Peu importe. Le bruit n’est que secondaire. De la même façon que j’ai mis en place, avec les ans, un protocole migrainique, il faudrait que je fasse de même avec un protocole malêtral, autrement ça va vite virer à l’insupportabilité cette histoire d’être soi. Sauf que ça va bien cinq minutes d’attendre d’avoir touché le fond pour rebondir. Je veux dire, Natsume Takashi est hanté par des yôkaï, et on ne l’entend pas se plaindre autant que moi. Wout van Aert s’est fracturé la clavicule et le sternum, et s’est cassé sept côtes, et on ne l’entend pas se plaindre autant que moi. Alors hein.