Y-a-t-il pire chose sur Terre que de râper un céleri ? Le manger, peut-être ? Le sentir sur ses doigts après qu’on l’a râpé ? Nettoyer la table pleine de copeaux de ça après qu’on l’a râpé ? Se dire, entendant quelqu’un ou quelque chose couiner quelque part dans l’appartement (ou bien, qui sait, dans l’immeuble ?), c’est Soupir qui ronfle quand bien même Soupir est mort, sans doute d’une leucémie, il y a maintenant plus de cinq ans ? Souvent Soupir me manque, mais n’est-ce pas précisément le cas de tous les autres également ? Ne ressent-on pas par moments cette curieuse impression que quelqu’un ou quelque chose nous manque alors même qu’il est, ou qu’ils sont, à un ou deux mètres de nous à peine, c’est-à-dire donc qu’on est bien en présence de ce qui nous manque au moment même où l’on traverse (à moins que ce soit le contraire ?) cette sensation de manque ? N’est-ce pas précisément ce qui se produit quand on pianote machinalement sur son téléphone tout en se disant, simultanément, merde, où est-ce que j’ai encore mis mon téléphone ? Ou bien se dire, lisant quelque chose, n’importe quoi, il faudrait que je lise, quand même ? Suis-je le seul à qui ça arrive ? Est-on jamais seul, finalement ? Par exemple, je ne suis pas le seul sur Terre à vivre avec des restrictions alimentaires, qu’elles soient subies ou non, pas vrai ? Ici-même, dans cet appartement, je ne suis pas seul ; n’est-ce pas le cas de H. qui ne mange pas de chair animale ? N’est-ce pas le cas de Tartelette qui ne mange pas les parties acides des fenouils et des céleris (encore eux) ? N’est-ce pas aussi le cas de Poulpir qui, elle, ne mange pas de persil ? Combien de temps que je ne m’étais pas préparé un maté, un double maté corsé tel que je le note dans mon application de suivi de la douleur ? Deux mois ? Plus ? Moins ? Qui peut écrire une phrase comme Y-a-t-il pire chose sur Terre que de râper un céleri ? dans un journal ? Quelqu’un de complètement à l’ouest des problèmes que rencontrent ses frères et sœurs humaines sur l’ensemble de la planète, non ? Où vivent ces frères et sœurs ? Dans des villes ? À la campagne ? Dans des zones plus ou moins intermédiaires entre l’une et l’autre de ces extrémités ? Sont-elles des extrémités, à proprement parler ? N’est-ce pas plus proche qu’on le croit ? Si on dresse un cercle autour de Paris d’une heure ou deux de distance, quelles régions où il ferait bon vivre ? Ça veut dire quoi bon vivre ? Où aurait-on envie d’aller ? Pour combien de temps ? Comment savoir si on ne le fait pas ? Mais si on le fait, pourra-t-on faire machine arrière ? Est-on attaché à Paris par ailleurs ? Profite-t-on de la ville et de la vie ici ? Rêve-t-on d’autres espaces et, si oui, lesquels ? Se verrait-on vivre ailleurs, voire dans un autre pays, ou à l’autre bout du monde ? Si les colonies lunaires et/ou marsiennes, vénusiennes, saturniennes, jupitériennes, neptuniennes, uraniennes, plutoniennes (mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? pourquoi ne pas aller jusqu’aux colonies alpha-du-centauriennes pendant qu’on y est ?) existaient dans notre présent, postulerions-nous pour nous y installer ? Aurait-on la paix, là-bas ? Mais la paix de quoi ? Ou de qui ? Que faire alors si après des milliards de kilomètres de distance dans le cosmos, à supposer que ces régions soient accessibles en moins de temps qu’une vie pour la vivre, tu réalises que c’est toujours ton propre reflet que tu vois le matin en regardant par la fenêtre, et qu’au fond tu n’as strictement rien réglé nonobstant la distance ? Quelle épiphanie alors, devant un lever de soleil légèrement voilé par le coucher de Titan ou autre lune stellaire ? Qu’en est-il d’un chien avec qui vivre ? Si j’avais un chien, j’aimerais l’appeler Nonobstant, or n’est-ce pas une raison suffisante pour avoir un chien ? Que penserait un chien d’aller vivre sur une planète gazeuse grosse comme onze fois la Terre ? Que verrait-il, ce chien, levant le museau vers moi pour attendre de moi quelque chose (mais quoi) ? Et moi, que verrais-je dans son regard ? Nonobstant quoi ?


dimanche 17 novembre 2019 - vendredi 3 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

Livres : Vers Velvet (Pou, Histoires pédées, 2020). Accident de personne (Othello, réédition 2018) · Le Chien du mariage (traduction du recueil d'Amy Hempel, Cambourakis, 2018) · Mondeling (avec Junkuu Nishimura, publie.net, 2015) · Coup de tête (publie.net, 2013, réédité en 2017) · Accident de personne (publie.net, 2011) · Livre des peurs primaires (publie.net, 2010) · Qu'est-ce qu'un logement (publie.net, 2010)