Combien serons-nous à l’orée du confinement, le 11 mai prochain, à nous rêver confinés encore ? S’il y a bien un lieu où le temps n’a pas prise, c’est ici. Les détenus rêvent-ils encore de leur cellule longtemps après leur libération ? N’est-il pas plus étrange encore de rêver de confinement pendant le confinement ? C’est le cas. Il y avait une élection, et chacun devait se débrouiller pour voter en respectant l’absence érigée en principe fondamental : soit en enregistrant sa voix au moyen d’un dictaphone, soit en signant une procuration pour quelqu’un qui irait au feu à sa place, soit en construisant quelque chose avec ses mains (mais quoi ? un bureau de vote ?). Moi, j’hésiterai à faire ou ne pas faire. Comme souvent dans les rêves, je suis là dans un jardin à courir après des lapins pour les rentrer (c’est dangereux dehors). Mais puisque j’en reviens avec trois et non deux, c’est donc que l’un d’eux est de trop, et que j’ai ramassé une bête sauvage. C’est lui : on ne voit pas ses yeux, son pelage est hirsute, tout collé, il a un museau triangulaire, et on peut voir à l’œil nu léviter les miasmes. Personne n’avait entendu parler d’un onze mai avant hier et voilà qu’aujourd’hui, notre présent tout entier est tendu vers ce onze. Il y a semble-t-il besoin d’une perspective (à moins qu’il s’agisse, comme chez Blanchot, de l’idée de raison ?) :

Personne ne dit dans le silence : « Hâtons-nous et, avant qu’elle ne soit froide, précipitons-la dans l’inconnu. Faisons sur elle l’obscurité pour laisser la loi s’abandonner déloyalement à l’impossible. Et nous aussi, écartons-nous, perdons tout espoir : l’espoir même doit être oublié. »

Maurice Blanchot, Thomas l’obscur