Ma première pensée au réveil fut : ai-je été enterré ou incinéré ? La seconde : ai-je bien reçu l’extrême onction ? En vérité, c’est faux. Je veux dire, j’ai bien pensé la seconde, mais pas la première, qui n’a fait que découler de la seconde, en faisant un genre de troisième pensée mais de troisième pensée non-spontannée : contrairement à la seconde, j’étais conscient de ce que je pensais pendant que je l’ai pensée. Non, en vérité, la première, c’était une autre pensée, une pensée évaporée à peine émise, et que je ne retrouverai jamais. Ça ne fait rien. Si on était dans une fiction, cette vraie-fausse première pensée qui n’est que la troisième serait bien plus opportune qu’une autre, fût-elle première, et on pourrait grâce à elle lancer l’énergie d’un récit. Ceci étant dit, une fois toutes ces pensées pensées (il faudrait toujours prendre en note la première pensée qu’on a de quoi que ce soit au réveil, si on le peut, sur ce terrain branlant qu’est le mi-cheminat du rêve et de l’éveil), j’ai repensé à ce bout d’interview de la présidente du CNL parcourue hier dans la presse et qui disait, je cite, lire est aussi important que manger et bouger et je me disais que ça desservait vraiment la cause que ces gens pensent défendre de forcer comme disent les jeunes tout et n’importe quoi dans l’esprit des gens, et n’importe comment, comme de décider arbitrairement au sommet de l’État que tous les adolescents doivent pratiquer le théâtre, et alors quel meilleur moyen de dégoûter par anticipation toute une classe d’âge de la culture en la rendant martiale, forcenée, verticale, et prétendument vitale alors que pas du tout. On peut très bien vivre une vie heureuse, épanouïe, sans lecture, sans théâtre. La culture et j’ai envie de dire la vie sont assez vastes pour que chacun y trouve sa matière, et son épanouissement. Ensuite, je me suis rappelé que J., quand il nous avait rejoint chez PDG du temps où j’y travaillais encore, dans les premiers jours où il était là, avait demandé des autocollants du logo de la piètre marque qu’était donc PDG à coller sur son ordinateur pour « être corporate », et j’ai l’impression que c’est ce que font là ces gens : ils se bardent de ces formules en interview pour donner l’impression qu’ils sont dévoués à la cause qu’ils défendent, quand dans les faits ils ne font que faire ce qu’ils croient qu’on attend d’eux (mais on n’attend rien d’eux, ni maintenant ni jamais : on attend que le monde soit révolutionné, ce qui, bien que se produisant sans cesse, n’arrive jamais). Ceci étant dit, j’ai beaucoup réfléchi également à ce qu’écrit aujourd’hui Anne Savelli dans son semainier, à savoir ces heures ou ces journées de travail qui, une fois qu’elles se concrétisent sous forme d’une publication (au sens propre, rendre public, quelle que soit la discipline à laquelle on s’adonne) ne débouchent sur rien, ou pas grand-chose, ou bien peu de retours, et en vérité bien peu de preuves concrètes que ce que l’on a fait n’est pas complètement vain. Tous les écrivains y sont confrontés, et ça fait partie des compétences de l’écrivain que de passer outre ce silence ambiant, cette obscurité. Le restant de ma journée, je l’ai passé à me préparer à communiquer (c’est un mot que je déteste mais enfin voilà) pour le lancement de Féroce le 7 février, et puis après avoir préparé tous mes envois, programmé tous mes envois, une fois leur heure advenue, je suis pris de ce vertige à mon tour de voir tout ce travail fait aujourd’hui (et ces journées passées, et ces semaines, mois, années, à l’échelle du livre) réduit à néant devant disons la potentielle (c’est le mot le plus important de la phrase) confidentialité de sa réception.

GV
mercredi 21 février 2024 - vendredi 3 mai 2024


Pluto



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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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