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C’était le titre de son histoire. Ce n’était pas un récit, ce n’était pas un roman, ce n’était pas un film. C’était, disait-il au coin d’un feu vert d’eau un peu, dans la substance du soir, sous (disait-il) l’halo de l’étoile, au moment venu de partager la parole avec les autres, c’était, disait-il donc, au mieux une anecdote. Quelque chose que l’on se passait de bouche en bouche et de tempe à tympan (ajouta-t-il en se posant la pulpe de l’index sur la sienne de tempe, près de là où battait la bien nommée veine temporale). Et, donc, c’était le titre de cette histoire : fils & fils, à entendre comme files & fisses (les premiers étant ceux que l’on noue, ou que l’on détache, les seconds comme chacun sait les rejetons mâles du couple hétéronormé). L’histoire commence ainsi : une mère est seule avec son fils nu et recroquevillé sur le sol carrelé d’une douche ou d’une salle d’eau. Elle sourit. Elle vient de lui déverser un jerycan d’essence dessus, après lui avoir tendrement recommandé de fermer les yeux (les muqueuses, ça pique), alors elle craque une allumette en souriant. « Est-ce que ça va tout repousser ? », demande le fils qui peut être, selon les versions, un très jeune enfant, un adolescent, voire un adulte. « C’est ce qu’on va tâcher de vérifier ensemble », dit la mère. Voilà pour le prologue. La réalité est tout autre. Le fils est en réalité la conséquence d’une maladie obscure. Celui dont on parle n’est pas le fils naturel de cette mère pyromane, mais la copie de son fils véritable advenu un matin après une nuit de fièvre. Dans cette nuit de fièvre, au fils, son corps s’est dupliqué. Un clone lui a poussé. Et il a fallu remédier au problème. Si la mère se résout si tendrement à une telle extrémité, c’est sans doute que ce n’est pas la première fois que ça arrive mais ça, disait-il, c’était une interprétation de sa part et non la poursuite naturelle de son récit : il donnait son point de vue. Ensuite, les choses se corsent. (Tous on l’écoutait dire ça, raconter ça, mettre en mots cette histoire, donner de la voix, emplir son corps d’air pur et le recracher sous la forme de paroles-paroles, l’air inspiré vachement, masculin-féminin un peu, indéfini au niveau de son genre selon les ombres lentes à venir s’arrimer à sa peau, bref, il aimantait sur lui tous nos regards.) Voilà pourquoi les choses se corsent : l’histoire se déroule dans un pays lointain (ça arrive). Le pays lointain n’est pas une république ni une démocratie, ce n’est pas non plus une monarchie de droit divin ni une théocratie ni même une dictature, ce n’est pas non plus un régime communiste ni une utopie prolétaire. Mais c’est un peu un mélange de tout ça. Le pouvoir est le seul fait d’une femme ou d’un homme et il est incessible. S’il l’homme ou la femme meurt de son meurtre, le pouvoir se dissout et plus personne n’a le droit de l’exercer pendant dix ans. C’est long. La seule façon de transmettre le pouvoir n’est pas de l’inoculer via l’ADN à ses héritières ou tiers mais de s’en remettre, après la mort naturelle du régent en place, au tirage au sort. Chaque habitant du pays lointain est logé à la même enseigne. C’est une loterie générale. On ne peut pas tricher. On peut très bien se retrouver avec un vieux sage, une enfant de huit ans, un fou. Du reste, c’était déjà arrivé et finalement on ne voyait pas réellement la différence avec les pays voisins qui, eux, avait un fonctionnement, sinon plus démocratique, du moins disons plus habituel. Là, quelqu’un se lève et emprunte la parole et alors le conteur la lui prête, la parole, et donc là la personne s’exprime : ton récit est trop long (dit-elle), et mal raconté. Ces informations devraient soient être présentées en tout début de conte, soient distillées au compte-goutte pour notre confort d’écoute et aussi pour l’immersion. Par ailleurs, le prologue n’était pas le prologue mais le cœur même du récit, par ailleurs incomplet, inachevé (mais cela, c’était le fait même de son intervention à elle, pas la volonté du conteur). L’autre remercia, et accueillit les retours de la personne avec beaucoup de bienveillance, mais enfin que voulez-vous qu’il en fasse à mi-parcours, une fois que tant, et à la fois si peu, était déjà dit ?


samedi 16 avril 2022 - jeudi 2 mai 2024




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Guillaume Vissac est né dans la Loire un peu après Tchernobyl. Éditeur pour publie.net entre 2015 et 2022, fondateur en 2023 du laboratoire d’édition Bakélite, il mène également ses propres chantiers d’écriture et de traduction, principalement en ligne (mais pas que).

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