James Gray



  • À propos de Two Lovers de James Gray

    27 août 2010

    J’écris ces quelques notes depuis un vaisseau fantôme nommé Insomnie, errant dans la nuit comme un oeil entre des planètes invisibles qui pourraient s’appeler Morpheus DX 9, Urkh 24 ou bien que sais-je encore. Je me repasse sous les paupières le film Two Lovers de James Gray, vu avant-hier. (L’intégralité de l’intrigue du film est dévoilée dans les lignes ci-après.)

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    L’affiche du film ne correspond pas au film. Aucune des affiches choisies pour le film ne correspondent. Two lovers n’est pas un tendre mélo ni une comédie romantique pour nuit d’été. Même la lumière est étrange, étrangère au film. Une lumière venue d’ailleurs, un ailleurs proche pourtant plus connu sous le nom famous de Photoshop, je crois. Il faut passer le cap de l’affiche (ici de la couverture DVD) pour pouvoir lancer Two lovers.

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    Two lovers s’articule autour de deux points géographiques qui sont aussi des points de fuite possibles ou épouvantables : l’ici et l’ailleurs. L’ici se définit progressivement, plan par plan, comme un zoom propulsé à la molette depuis un satellite Google Earth qui montrerait d’abord un continent, puis un pays, une ville, un quartier, une rue, une maison, une fenêtre, une ombre. L’ici se nomme d’abord New York, Brooklyn, Brighton Beach, l’appartement familial, la tête malade du personnage incarné par Joachim Phoenix, ses névroses existentielles, la dépression : une panne de bonheur. L’ailleurs est dévoilé par touches sur une palette quatre couleurs. L’ailleurs est une femme, l’ailleurs est une fuite, un amour impossible, des désirs contrariés.

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    Au cœur de ces deux destinations contradictoires la narration pose deux femmes. L’une, la brune, Sandra (Vinessa Show), verrouille l’ici, cadenasse le présent. L’autre, la bonde, Michelle (Gwyneth Paltrow), propulse l’ailleurs, se fait détonateur d’un fantasme qui s’appellerait passion.

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    Si Sandra verrouille l’ici, elle n’en est pas complice, mais plutôt victime maladroite des circonstances. Sandra est cautionnée par l’ici :

     par la famille de Leonard (Joachim Phoenix), d’abord, qui fait la médiation

     parce qu’elle est juive (en opposition à Michelle complètement étrangère à la famille)

     parce qu’une union avec elle permettra aussi une fusion professionnelle, et donc une stabilité future

     parce qu’elle remplace l’ex-fiancée de Leonard pour devenir (hors film ?) une mère

     parce qu’elle propose une vision du bonheur confortable (La mélodie du bonheur)

     pour le cadeau qu’elle fait à Leonard : des gants : des gants comme cocon confortable qui le coupe de tout contact avec sa réalité

     enfin quand il décide de prendre des photos pour elle (de lui offrir ses yeux) c’est pour fixer des scènes de banalités familiales : des scènes « avec des gens dedans » pour remplir ses paysages décharnés de quartier désaffecté qui reflètent (pourtant) son identité.

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    Et Michelle propulse, ouvre vers l’ailleurs, elle est l’actrice de Leonard :

     parce que sa simple présence permet l’extravagance : la scène du night club vient rappeler à Joachim Phoenix qu’un jour il était en vie, rameute des souvenirs supposés d’une vie d’avant la dépression, tisse aussi une filiation avec le film précédent de James Gray, La nuit nous appartient, et ses scènes de night club 80’s

     parce qu’elle est elle-même une drogue dont Leonard ne peut décrocher

     pour le jeu permanent qu’elle permet : jeu de regards d’une fenêtre vers l’autre, jeu de textos disséminés au fil du film

     parce que son amour pour elle est secret (leurs conversations se font au téléphone portable, donc privé) quand Sandra impose un amour familial (réunions de famille, téléphone fixe de l’appartement familial), aux yeux de tous

     parce qu’elle est infertile

     parce qu’elle est mouvement, parce qu’elle est nomade, parce qu’elle vient de et va vers l’ailleurs.

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    Les péripéties et marivaudages du film poussent Joachim Phoenix vers Sandra, ce qui décuple sa passion pour le personnage de Gwyneth Paltrow. L’apparition de l’amant de Michelle le transforme en second rôle de cabaret : un corps caché derrière la porte. Un meilleur ami. Un confident. Une ombre inconfortable.

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    Si les lieux traversés par Leonard et Sandra sont des lieux familiaux (l’appartement des parents de Leonard est cloisonné, minuscule, étouffant), ceux qui caractérisent le couple Léonard / Michelle condamnent à l’avance leurs efforts pour se rapprocher l’un vers l’autre. Les deux espaces privilégiés empêchent toute fuite : la cour intérieur de l’immeuble dans lequel ils vivent, et le toit de l’immeuble. Les murs sont des barrières. Même le toit, censé être ouvert sur l’ailleurs, est froid, cloisonné (les angles de caméra sont découpés, hachés par les pans de murs qui s’intercalent entre les corps), fermé finalement. Lorsqu’il arrive que Leonard investisse un lieu qui appartient à Michelle, il en est toujours exclu (le night club, l’opéra). Même après invitation dans cet appartement qu’elle ne paye pas elle-même, Leonard découvre un lieu étonnamment vide, dépouillé de meubles, comme si le décor qu’il observait depuis la fenêtre de sa chambre n’était qu’une façade sans envers. Seule la chambre est meublée, mais du strict minimum : un lit, une porte, et de quoi séparer encore les corps.

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    Il y a en réalité deux espaces libres, infinis, qui permettent l’ouverture fictive vers l’ailleurs : la baie dans laquelle Leonard se jette au début du film et retient de se jeter à la fin du film, et l’Internet, discret, qui permet la réservation en ligne de billets d’avion pour organiser la fuite. Tous les autres espaces du films sont cloisonnés et, comme la chambre et la tête de Leonard, encombrés, bouchés, verrouillés.

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    La possibilité d’une fuite avec Michelle ramène à l’adolescence : Leonard fugue, remonte le temps. Il achète une bague miteuse avec ses économies. Il quitte sa famille sans dire au revoir. Il jette son sac par la fenêtre. Il ne prend pas ses médicaments. Il jette le portrait de son ex-fiancée. Il remonte le temps non pas vers un avant la névrose, la dépression, mais vers un ailleurs où ces instants n’auront jamais pu voir le jour.

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    Le film s’ouvre sur le silence : le corps de Joachim Phoenix immergé dans la baie, puis repêché, pathétique, trempé. Le film se ferme sur le silence : le corps de Joachim Phoenix, sur la plage face à la baie, devant une fuite devenue impossible. Les murs minutieusement érigés autour de Michelle verrouillent à leur tour l’ailleurs pourtant caressé du bout des doigts. Les dernières images aussi sont silence. Quelques mots chuchotés. De la musique minuscule. L’ailleurs s’est tellement resserré sur Leonard qu’il ne reste plus que l’ici.

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    Après les avoir jetés, Leonard récupère les gants offerts par Sandra.

  • 310512

    31 mai 2012

    Qui suis-je ? Où vais-je ? Je ne le sais pas. J’ai l’impression que vous êtes comme moi, et c’est pour cela que je suis venu vous proposer d’assassiner Barsut. Avec l’argent, nous fonderons la loge et peut-être pourrons-nous ébranler les bases de cette société.

    Roberto Arlt, Les sept fous, Belfond, traduction Isabelle et Antoine Berman, P.129

    Le drame de 17h34 (et donc de toute ma vie photographique) c’est d’échouer sans cesse à pouvoir prendre tout l’intérieur de mes paupières fermées. Ici c’est que dalle. Où il est le sang, où il est le granit ?

    — Alors, les gens au courant pour cette affaire sont...
    — Vous, moi et Bromberg...
    — Trop de gens pour un secret...
    — Non, parce que Bromberg est mon esclave. Ou plutôt, il est esclave de lui-même, ce qui est pire.

    P.185

    Retrouve mon corps recroquevillé dans l’abdomen. Plus rien plus à tousser, même pas moi-même. Dehors de l’air, manches longues, deux épaules rêches qui saillent. Sans pouvoir m’expliquer pourquoi, les mots qui m’émeuvent le plus dans la chanson I’ve seen it all du film Dancer in the Dark seraient « my pulse was as high on my very first date ». C’est comme cette scène de Two Lovers, la fin. Combien de fois l’avoir déjà revue sur Youtube juste pour entendre dessous la musique ? La bande-originale n’existe pas. Pourquoi quiconque ne cracke jamais ce qui n’intéresse personne ? Faut arracher au DVD toute l’entière piste son, dialogues, respirations compris.

  • 110417

    11 mai 2017

    503 mots (Eff) avant d’aller attraper The lost city of Z avec H. au MK2 Bibliothèque. Et puis derrière c’est prendre à manger dans l’un des food trucks sur la place et se mettre sur les marches de la BNF côté Bercy, la lune jaune, super jaune, à se refléter sur nous pendant qu’on se parle des paroles pleines de sel du food truck.

  • 051019

    5 novembre 2019

    Si le phénomène qui veut que le feuillage d’un arbre laissant à son voisin assez d’espace pour développer le sien s’appelle la timidité, comment dit-on quand un consommateur à la caisse d’un supermarché (un genre de végétal somme toute) laisse pas moins de 50cm ou plus entre ses produits et ceux de la personne précédente sur le tapis roulant ? Ou le contraire, celui qui colle ses achats contre les tiens ? Ce monde est plein de mystères et de frustrations. Lesquelles frustrations ont tendance à se lever d’elles-mêmes lorsque la playlist te passe un truc comme « Vanishing Act » dans l’aléatoire de son flux. C’est une respiration. La musique est une chose étrange, et parfois assez drôle. Par exemple, à présent qu’il a été décidé que Max Richter compose les bandes-son d’absolument tout, on n’a plus besoin, regardant un film ou une série, de se demander, mais qui a composé ça ? C’est simple. C’est Max Richter. C’est le cas dans Ad Astra, un film de James Gray au cours duquel Brad Pitt sauve le monde en faisant sa psychanalyse en apesanteur. Il y a de belles images dans ce film (par exemple la scène d’ouverture). Le fait qu’il constitue un genre de fausse suite à The Last City of Z est séduisant. Mais on a le sentiment d’un récit très mal écrit, et qu’au fond on ne croit jamais à aucun des personnages. Quand ce phénomène se produit au sein d’une fiction, l’effet direct sur le lecteur ou le spectateur, c’est qu’il ou elle s’en fout. Il peut bien se passer n’importe quoi, on n’est pas concerné. Et finalement c’est un récit qui se déroule (sauf si on referme le livre, ou là en l’occurrence si on sort de la salle) sans soi.