Réveillé 4h30 par ce qu’on peut appeler une rupture de sommeil : d’un coup les yeux ouverts, d’un coup blanc dans la tête, d’un coup pulsé dans les épaules comme endorphines, endorphines convulsées. Je tourne ensuite et tourne encore : éventre des rêves agressifs dans lesquels je me frotte, épines et os pointus, contre la peau des autres mais ça ne passe pas. Levé 6h30. Averse. Trop chaud et dix degrés déjà. Clodo (jeune) me dit bouge-toi, me faut 10 000€. Clodo (vieux) me demande 50 centimes. RER : wagon ouvert, une odeur de cadavre et d’alcool. Regards croisés des uns contre les autres, on tente d’identifier la source : qui c’est qui pue comme ça ? J’ai mes favoris. J’ai mon tiercé quinté gagnant. Je les vois déjà classés ligne d’arrivée. J’ouvre Mangez-moi (Marina Damestoy). Je me dis l’odeur c’est fait pour aller avec le livre, c’est un livre en odorama. J’ai du mal à me concentrer. Une vieille débarque, gare de C., tartine un mouchoir de parfum plastique quelle se colle dans les narines pour sentir mieux. L’odeur plastique recouvre les sièges. Quelle odeur est la pire ? Bifurque premier étage, balcon sur puanteur, assaut de mp3 crépité, conversations insipides. Je peux plus lire. Quelle nuisance est la pire ? Douleur fixée tempe gauche que les nerfs alimentent : c’est optique : c’est viscéral. Des lapins morts défilent derrière mes yeux. Wagon arrière, voix mexicaine, commentateur de catch, El Pollo Loco s’élance, écrase des mâchoires et hurle à la victoire. Maintenant il chante. J’entends des voix ? Je lance Hallo Spaceboy version Live in Dublin pour enfoncer marteau-piqueur ma migraine sous le crâne. Ça marche : elle se fige au soleil. J’entends des voix.
Mangez-moi est un texte proposé par Marina Damestoy sur Publie.net depuis une petite semaine. Dans la lignée de La crise, lu dans le même mouvement, dans le même mouvement de tête aussi, regard de l’oeil nu sur le trottoir, réalité fragmentée d’un monde en dessous du nôtre qui est pourtant le nôtre. Comme La crise encore (mais aussi comme celle du logement & des peurs primaires ?), le format suivi est celui du fragment : forme courte, notes prises en marchant, et compilées après, plus tard. Mais les notes restent : de terrain bien sûr, embarquées, au plus près du sujet. a href="http://www.publie.net/tnc/spip.php?article309">Mangez-moi est une chronique vivante (et politique) de notre rapport au monde, rapport à l’autre, rapport à la ville. Extraits (quatre).
Quand la ville nous rend stériles. Quand un poids indicible écrase nos visages. Nous en sommes à absorber ce qui peut nous hisser hors du lieu où nous choisissons de vivre... lutter contre ce pourquoi nous travaillons, ce à quoi chacun contribue.
Je regarde sur l’étalage : un médicament pour calmer les nerfs, le stress, le surmenage, la fatigue mentale, les troubles psychiques, les tentions anxieuses, l’instabilité émotionnelle, les manifestations somatiques de notre peur d’être au monde, les troubles fonctionnels, spasmes, convulsions, cachexie,...
Le nom du produit : Xanax, Prozac, Urbanil, annihilateur de ce que nous extirpe de la ville.
Médicament pour citadins, produit par la ville et pour la ville. Autrement dit, substances issues de ce qui consti-tue nos maux, crées par eux pour nous permettre de nous armer contre eux, afin de mieux en faire partie.
Être contre, c’est être tout contre, lisais-je. Je ne vois plus de choix, j’en gobe pas mal.
Marina Damestoy, Mangez-moi, Publie.net, P.35
Je laisse traîner mes pensées sur des phrases. Je laisse tomber ces mots-véhicules au hasard de papiers que des yeux survolent. Je laisse glisser ces feuilles entre des mains intruses et l’autre devient détective, témoin – voyeur qui s’ignorait.
P.101
Un squat est une maison de bris d’ardoise pour mauvais élèves.
Sous la craie, poudre de dope, je suis l’agneau planqué qu’on va bientôt bouffer.
P.104
Angoisse parce qu’en moi est la merde. Mon ventre porte éventuellement la vie mais surtout la chair putréfiée des aliments. Comment s’épanouir sachant que ces denrées ingérées en mon sein me font vivre par fermentation, asphyxie, déliquescence. Je vis par la mort et détruit par mon transit. Intestins, symboles de la gadoue-ma vie.
P.131
Message à V. : voilà un truc susceptible de t’intéresser !
(À travers le carrelage du réfectoire on peut apercevoir une autre pièce en transparence. Dans cette pièce, un homme téléphone mais le câble n’est branché sur aucune prise ; il trempe dans l’eau. On dirait que l’homme parle à l’eau. Pourtant, il ne dit rien. Et l’eau monte, et l’homme se noie, mais il ne dit rien. Alors le téléphone répond, mais l’homme ne l’entend pas.)
À la maison des Métallos pour une lecture de REFU(S)GE, une pièce de Marina Damestoy. Je ne sais plus très bien où j’en suis en sortant, notamment rapport à la douleur. Je sais que j’en sais rien, notamment les visages d’autrui. Je retiens que rarement un visage. Dans la rue Jean-Pierre Timbaud1 les burqas sont en soldes. Ils ont fait vite pour remplacer les affiches lumineuses vouées à la publicité dans les couloirs de Nation. Lisant Arnaud sous terre, je tisse un lien entre ce qu’il l’appelle l’effondrement des pensées et ce qui est revenu plusieurs fois dans mes doigts, via le journal ou dans Чарнобыль, sous la formule l’abolition du langage. J’hésite à préciser. Il fait presque beau de nouveau.
Journée pleine de belles attentions à mon égard. Un mot manuscrit d’H. collé sur mon ordinateur. Puis le vélo, t-shirt, soleil, après avoir regonflé ça vite fait. Vrai plaisir d’aller où la terre roule. Verre avec Marina Damestoy à Nation, qui est quelqu’un de lumineux. Pendant que les trucs chargent, je lis des bribes de L’incessant. J’ai gardé aux pieds mes pompes comme s’il fallait partir d’urgence quelque part (mais où ça ?). Sur Twitter, on relaye des violences policières. Les mots d’oral vont à l’écrit : conversation de comptoir où untel justifie qu’unetelle se soit fait violemment repousser par un flic en armure, untel explicitant qu’un autre flic encafardé (23kg de kevlar) s’en prenne à un autre torse nu au bitume (et il y a encore beaucoup de sirènes de police dans les rues, beaucoup). L’incessant :
un blanc, une pose, une bouffée de fumée grise encore, pendant qu’au-dessus elle lui parle de sa voix la plus douce, dialogue de cigales, silences remplis de notes, et lui, de sa petite voix, en contrepoint, questionnant sans qu’on puisse comprendre les mots, une rumeur, un filet d’eau coulant, noyé un instant dans le bruit des moteurs, donner sur un parking c’est pas le rêve, et la voilà qui chante sans qu’on puisse reconnaître la chanson, les yeux quittent la page, regardent le plafond, la table, dégradation générale, et c’est bien vrai, une fine cendre, trop fine pour être vue, mais on la sent pleuvoir doucement, comme dans ces films au ralenti où gicle la poussière en gerbes lentes sous les pieds ou l’eau d’un rivage longé en courant sur le sable humide et dur, des voix montent d’en bas, l’immeuble est un tambour, une guitare fêlée, une caisse de béton trouée d’yeux morts, de fenêtres aveugles, moloch tapi sur le bord de la nuit, guettant le coït des vents, la voix de l’espace entr’ouvert qui parfois parle lorsqu’on l’écoute entre deux eaux, deux temps perdus, gagnés, blanc, silence, accroc dans le tissu
↑ 1Est-ce que devenir adulte c’est nommer les rues ?